vendredi 27 juin 2008

Père et fils: de nombreuses existences virtuelles


Regardez cette photo: elle me donne le frisson parce qu'elle raconte combien le monde des pères et des fils a changé depuis l'enfance du photographe. Parue ce matin dans le blogue Vos photos de Libération, elle est intitulée Autoportrait, solitude numérique et son auteur, Christophe Quinzoni, décrit l'instant:

«Face au miroir, appareil à la main et le regard un peu vide, j'appuie sur le déclencheur. Au fond de la pièce, l'ordinateur, et mon fils aîné qui s'évade vers ses mondes numériques... A cet instant, nous sommes séparés par des murailles invisibles de milliards de pixels. Chacun de nous dans l'une de ses nombreuses existences virtuelles. L'esprit envahi d'instructions techniques et de signes graphinumériques, je ne vois plus de lui que son reflet qui me tourne le dos...»

Père et fils, c'est un classique de la photographie. A l'automne 1941, Robert Capa cadrait Ernest Hemingway et son fils Gregory assis sur un pont en bois, avec leurs deux fusils de chasse.

Dans l'image de Christophe Quinzoni le frisson naît de la dynamique entre les moyens de communication représentés -- texte manuscrit, ordinateur, appareil de photo numérique. Une génération plus tôt, la même photo aurait donné ceci: papa derrière son bureau, les doigts sur la machine à écrire, et le jeune Chris en train de photographier son chien avec un appareil à cassette ou de piloter sa voiture à piles à l'aide d'un câble. La même que celles des générations précédentes, à quelques détails près.

Aujourd'hui, penché sur l'ordinateur, le fils de Christophe développe des mécanismes de pensée inimaginables quand son grand-père avait son âge, des processus que son père a acquis à l'âge adulte. On sait maintenant que les cellules nerveuses sont capables à tout instant de couper d'anciennes connexions pour créer de nouveaux câblages, donnant à notre cerveau la possibilité de modifier/amplifier sa programmation. Qu'est-ce que les nouveaux cerveaux ont encore en commun avec le mien (septuagénaire)?

Alors que sa vue baissait, Nietzsche s'était procuré une machine à écrire (début des années 1880). Et il avait constaté que son style changeait. Il relevait déjà que notre matériel d'écriture exerce une influence sur la formation de nos pensées.

|| Ulysse

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très honoré de figurer parmi vos sujets de réflexions. Votre analyse me fait également voir cette image avec un autre regard, et découvrir avec intérêt la relation "père-fils" à travers les générations...

Christophe Quinzoni