lundi 29 décembre 2008

La manière virile de traverser la perte et le chagrin


D
ans le désert du Nevada, le festival du Burning Man rassemble chaque mois d'août près de 50'000 âmes dans une cité utopique qui
disparaît en flamme à la fin de la semaine. La gigantesque statue de "l'homme qui brûle" est consumée comme les autres constructions éphémères et aériennes. La communauté expérimentale qui se forme autour d'un rêve d'art, de liberté et de créativité invite à l'humour, à l'affection et aux amours bouillonnantes. Les participant/es apportent leurs propres créations bariolées "d'art interactif", destinées à amuser et à interroger.
Le Temple de l'Honneur de David Best dans la tempête de sable. -- Photo Scott London.

Le sculpteur David Best a dessiné les plans de plusieurs temples, chaque année un autre, contruits par des volontaires en quelques semaines à partir de matériel de recyclage. Le Temple de l'Honneur (ci-dessus) a été érigé en 2003; le cinéaste Laurent Le Gall donne la parole à David Best dans son DVD Burning Man... Voyage en utopie. [Cliquer sur Le Gall pour voir la séquence dans laquelle le sculpteur explique son projet aux visiteurs.] Architecture d'inspiration balinaise érigée avec des déchets de bois et de carton, ce monument était consacré aux disparus dont les visiteurs voulaient honorer la mémoire. Un emplacement était réservé au déshonneur où chacun pouvait déposer le poids de sa honte, de son indignité et l'abandonner aux flammes qui viendraient bientôt le purifier. David Best avait aussi dédié un emplacement au fardeau que provoque le suicide d'un proche.

L'artiste [ci-contre] raconte qu'un homme était venu lui dire au temple: mon fils s'est suicidé et tu l'as libéré. "J'étais
très honoré de pouvoir aider quelqu'un à se libérer d'un tourment aussi pesant." D'autres personnes déposaient des messages écrits, s'adressant à leurs morts, décrivant l'étendue de leur chagrin et de leur amour, demandant pardon; ou déposaient leur fardeau sous la forme d'une lourde pierre qu'ils avaient apportée de loin.

Les femmes et les hommes ne traversent pas semblablement le deuil. Nous, les mecs, avons plus de peine à manifester notre chagrin, surtout à le partager avec d'autres hommes. Avant de le faire, nous devons être certains qu'ils nous respecteront... De plus,
nous considérons le chagrin comme un poids trop lourd à porter pour les autres. Enfin, celles et ceux qui nous harcèlent en insistant que nous devons faire le deuil, ces gens-là nous enfoncent encore plus dans le mutisme. Ils ne savent pas voir -- ces spécialistes du deuil "à faire", comme une poule "fait" son oeuf -- que nous suivons d'autres voies pour traiter et traverser le chagrin. Par exemple: l'action. Une marche jusqu'à l'endroit de l'accident, à chaque anniversaire, pour s'y recueillir; la confection d'un objet du souvenir; la lutte pour prévenir que d'autres subissent le même sort... Le chemin de deuil des mâles est peut-être plus solitaire, ou se parcourt avec quelques nouveaux potes qui connaissent une perte identique. Ce n'est pas d'en parler qui compte pour un homme, mais de faire ce qu'il faut faire. Au bon moment.

Ulysse

A la fin de la semaine, le Temple de l'Honneur
est parti en flammes avec tous les fardeaux qui avaient convergé sous ses arches. -- Photo Tristan Sabatier, playa-dust.com.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Chaque année au moment des fêtes, je sens le manque de ceux qui nous ont accompagnés longtemps et ont soudain disparu. Quel chagrin au milieu des lumières! Alors je dresse un autel en leur mémoire avec des photos, des objets (la pipe de mon père) et je raconte quelques souvenirs à nos enfants, ma femme de même, pour que la nouvelle génération prenne connaissance de ceux qui l'ont précédée. Travail "de deuil", mais aussi de mémoire et de reconnaissance.

Anonyme a dit…

C'est vrai, mon homme a de la peine à parler de notre perte.