dimanche 24 mai 2009

On est toujours "le juif", "l'arabe" ou "le pédé" de quelqu'un


D
imanche au bord de l'Aar, à Soleure, où se terminent les 31e Journées littéraires ("Sentupada Litterara" en
romanche)... Derrière son stand de livres, un jeune vendeur vérifie l'état de ses deux lignes de pêche qui flottent dans la rivière. Il vend le Petit Lexique de la littérature de province (en allemand). Un rédacteur de l'Agence télégraphique suisse (ATS) annonce 10'500 visiteurs durant les trois journées "malgré une météo ensoleillée". Il se mélange les pinceaux: la météo et le météorologue n'ont jamais influencé le temps et il confond le nombre de visiteurs avec celui des entrées dans les différentes salles. A moi seul j'ai assisté à 14 lectures et tables rondes (suis-je quatorze visiteurs?) comptant 18 auteurs -- tout cela en allemand, italien, romanche, français, anglais et hébreu. A chaque heure, nous avions le choix entre plusieurs auteurs et autrices (comme elles se nomment en Suisse)...
Liron Maymon, mannequin israélien.
Une romancière et deux romanciers représentaient la langue hébreue: la juive originaire d'Argentine Gabriela Avigur-Rotem, l'arabe Sayed Kashua et le juif Eshkol Nevo, tous trois citoyens israéliens, de première force littéraire, chacun s'inscrivant à sa manière, et courageusement, dans le questionnement actuel -- la quête de beauté et d'amour, de justice, de paix aussi. Créant le lien dans leur fiction entre les aléas de la vie quotidienne et des vérités plus lourdes à porter, souvenirs enfouis, douleurs et les injustices qu'on voudrait oublier. Les lecteurs israéliens les suivent, les admirent ou les critiquent avec passion.

En les écoutant attentivement, je pensais à plusieurs choses... L'Israël d'aujourd'hui -- avec son développement remarquable et l'injustice que sa présence engendre face à un adversaire humilié et borné -- me rappelle que l'équité et la paix font partie des utopies, certes désirables. Me rappelle aussi qu'un peuple, même s'il a enduré la pire des épreuves, n'est pas forcément enclin à épargner et respecter un autre peuple.

Et c'est ce qui me désole lorsque je me surprends [moi, pédé] à mépriser, humilier d'autres personnes elles aussi bafouées par la société. Et c'est ce qui me désole, lorsque je vois mes frères gay manifester un esprit d'exclusion face aux minorités qu'ils ont de la peine à encaisser. Notre aptitude à accepter le prochain dépend de celle à nous assumer nous-mêmes. Pas facile!

Ulysse

1 commentaire:

Serge a dit…

Eshkol Nevo a passé son enfance à Detroit et dans différentes villes israéliennes; il a travaillé dans la pub. Son premier roman "Quatre maisons et un exil" (Gallimard) a remporté un grand succès en Israël. Je vous le recommande parce qu'il rassemble des personnages attachants d'origines différentes, des laïques, des religieux, des Israéliens, Kurdes, Palestiniens... Nevo décrit leurs amours, leurs espoirs, leurs opinions avec talent, humour parfois. C'est riche et jeune comme le cinéma israélien qu'on apprécie en Europe.