dimanche 23 janvier 2011

Intermède mâle dans la vie sexuelle d'un hétéro

York Lethbridge, Toronto: "Drape" 2002, peinture sur toile.
Dimanche dernier. Devant moi une boisson isotonique pour compenser les pertes hydriques de l'après-midi, souffler, et retrouver ma capacité turgescente. Un gars se hisse sur le tabouret de bar à côté. Fin de la trentaine, bien de sa personne, ceint d'une serviette de bain, rien d'autre, comme moi. Le garçon dépose une bière devant lui, je soulève ma bouteille: "Santé!" Il en fait de même. Je lui demande si "ça se passe bien". Il m'examine, pige que ce n'est pas de la drague, sourit: "J'aurais tort de me plaindre," jette un deuxième coup d'oeil. "Vous venez souvent?" demande-t-il. "Surtout l'hiver, quand j'ai besoin de vapeur et de chaleur humaine."

"Personnellement, c'est la troisième ou quatrième fois. J'imagine que certains cherchent ici l'homme idéal. C'est pas mon truc. Moi je mène une vie normale avec femme et enfant [ou enfants?], j'ai un attachement romantique pour ma compagne. De temps en temps je sors aussi avec une autre -- il faut qu'elle soit mariée et heureuse en ménage comme moi, je ne veux pas d'histoire [ou d'histoires?]."

Une vie normale. Il paraît que, dans ce genre de conversation, je m'appuie sur un coude, l'index arrimé à la moustache, le majeur replié sur la bouche et je regarde mon interlocuteur droit dans les yeux. Son besoin de raconter l'emporte sur sa réserve, il poursuit: "Je cherche pas un copain. Je fricote pour la situation, le contact corporel. La solidité des muscles, la sensualité agressive... Tout d'un coup j'en ai besoin. Ensuite je n'y pense plus. Et ça revient quand c'est nécessaire... Mes trucs avec des hommes ont commencé lorsque je jouais dans la fanfare du village. Quand on allait jouer trop loin pour revenir le même soir, on buvait un peu après le concert et, comme les filles du bled là-bas étaient forcément réservées aux gars de leur fanfare, on finissait par rentrer dans nos chambres et faire ce qu'il fallait entre nous. Enfin, pas tous... Mais on était entre hétéros et on avait bu, ça ne portait pas à conséquence. Plus tard, il s'est trouvé par hasard qu'un gay m'a fait une pipe: il aimait vraiment ça, quelle différence! Je le revois de temps en temps. Il m'a donné l'adresse de ce sauna. Il prédit que je finirai par virer ma cuti. Qu'est-ce que vous en dites, juste pour voir?"

York Lethbridge: "Bodies" 2001-2002.
"J'ai l'impression que la plupart des hommes ont besoin d'échanges d'affection physique avec d'autres mecs. Beaucoup ne l'ont pas vécu avec leur père, alors ils ont peur de l'intimité et ne savent pas non plus exprimer une sensualité enveloppante auprès des femmes. Certains trouvent un succédané dans la bouffe et l'alcool. D'autres la compagnie virile dans un club de sport. Quelques gars plus libérés osent serrer un copain, un frère dans leurs bras. Vous vous permettez d'aller plus loin, mais pas trop. C'est peut-être une limite que vous ne franchirez pas." "Oui, j'en suis certain. Je suis normal, hétéro à 95 pour-cent!" [Moi, pas normal, hétéro à deux pour-cent.]

André

7 commentaires:

Jeanne a dit…

Mon mari, à 100% hétéro (trop!! un brin de sensibilité me donnerait de la joie) aime notre fils qui a 7 ans et un handicap. Mais il n'arrive pas à le serrer dans ses bras, ce qui donnerait du bonheur et du courage à notre petit gars et, je pense, l'aiderait à progresser. Il le porte quand c'est nécessaire, mais sans exprimer d'affection. La peur de la pédophilie, je crois. Cette église a empoisonné l'air que nous respirons. Et la faute aux hommes qui ont élevé mon mari et étaient si taciturnes. Mais eux aussi avaient été élevés avec ce concept de virilité. Qu'est-ce que je peux faire?

François Brutsch a dit…

Pourquoi pas [Moi, normal, hétéro à 2%.]? ;-)

P.S. Lol: le dispositif anti-spam me demande de copier "pooffo"...

Alfred a dit…

Dans ma jeunesse, il y a bien longtemps, les choses se passaient d'une manière plus simple. D'abord, on ne parlait pas tant de l'homosexualité. Ensuite, les jeunes filles était "protégées". Nous, les garçons, nous retrouvions souvent sans compagnie féminine. Et les choses se passaient naturellement pour une raison ou l'autre: soit par manque de filles, soit par attirance réelle. Mais il était plus facile de se cacher derrière la première option tant qu'on n'était pas sûr du partenaire.

P.S. Mon mot anti-spam "galipt" me fait penser aux galipettes d'antan.

guy1942 a dit…

Message pour Jeanne : vous aimez l'enfant à votre manière et votre mari à la sienne.......Mon père ne m'a pratiquement jamais touché : ni frappé ni caressé ; il faisait passer l'essentiel dans le regard et avec quelques mots bien choisis.Il m'a laissé un souvenir plus fort que ma mère laquelle alternait caresses et terrorisme verbal.......D'après un proverbe italien "la mère aime tendrement , le père solidement"......Et puis je pense qu'il faut arrêter avec l'obsession de la pédophilie , et en outre je suis certain qu'il y a autant de prédateurs d'enfants chez les laïcs que parmi les représentants des trois religions monothéistes......Je vous souhaite tout le bonheur possible avec vos deux "mecs"...
( Moi, normal, bi et père de famille...)

Jeanne (bis) a dit…

Message pour Guy 1942: merci, mais ce que vous n'avez pas compris, Guy, c'est que notre fils handicapé a besoin de tous les stimulis possibles pour évoluer favorablement et que le discours constant sur la pédophilie rend les pères trop prudents dans leurs démonstrations d'affection. Ils ont peur du quand dira-t-on. Voilà.

Damstounet a dit…

Je partage votre avis, André.

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur ces hommes - qu'ils soient gay ou bi - tout à fait capables de coucher avec un mec sans pour autant être capables de lui témoigner de l'affection, à lui ou à un autre.

Sinon, en même temps, la crainte de la pédophilie existait déjà bien avant les scandales qui touchent actuellement l'Église même si cette dernière a grandement contribué à mettre cette question sous les feux de l'actu.

En réalité, le tournant s'est produit à la fin des années 80 - début des années 90 à partir du moment où il a été décidé que la pédophilie et la pédérastie n'étaient plus choses ni tolérables, ni acceptables en société.
De surcroît, la répression a mis en place un nouveau tour de vis à la fin des 90's donc tout cela ne date pas d'aujourd'hui.

Pour répondre à votre question chère Jeanne, je dirais qu'il n'y a pas de solution toute faite à votre problème.
Dans l'idéal, il faudrait être capable de se remettre en question et d'arriver à se détacher de l'ambiance et des discours anxiogènes véhiculés par les médias traditionnels et qui finissent par empoisonner toute notre société.

Et cela peut demander beaucoup de temps pour réussir à vraiment se libérer du qu'en-dira-t-on et du jugement de ladite société.
Et je crois que beaucoup d'entre-nous n'y parviennent jamais réellement complètement, quand bien même ils essaient.
Mais à mon sens, ça vaut, malgré tout, le coup d'être tenté.

Et rappelez-vous cette vérité toute simple : ce n'est parce qu'on aime son enfant qu'on va nécessairement coucher avec lui.
Je crois que de temps à autre, il faut être capable de distinguer ce qui est de l'ordre du désir et ce qui est de l'ordre des sentiments et de l'affectivité.

Pour autant, je crois également qu'il est assez illusoire - en supposant que ce soit souhaitable, ce qui n'est pas mon avis - de séparer totalement affectivité et sexualité en société.

L'Homme étant un tout, quand vous vous en prenez à une certaine forme de sexualité, quelle qu'elle soit, il est assez logique que cela aura des répercussions sur les relations affectives. L'inverse est aussi vrai même si la persécution en ce sens est nettement plus rare en société.

Tout comme la peur d'être, de devenir ou de passé pour un pédé a conduit bon nombre d'hommes, il y a une cinquantaine ou une soixante d'année durant ce culte de l'homme fort et viril des 40's et des 50's, à être incapables de manifester de l'affection - en plus du désir éventuel - à un autre homme voire à quiconque.

En effet, c'est logique : homosexualité=féminité et féminité=sentiments dans l'esprit de beaucoup de gens, ce qui conduit un certain nombre d'hommes à brider leur féminité voire l'expression de leurs sentiments et de leur affectivité.
Ce qui est assez triste, il faut bien le reconnaître et cela a encore des conséquences de nos jours.

Donc, on peut légitimement penser que cette peur et/ou cette haine actuelle(s) des gens envers la pédophilie aura des répercussions certaines sur les relations humaines et notamment familiales au sein de la société pendant des décennies, dans nos sociétés occidentales tout au moins, à moins que tout cela ne se mondialise, une fois de plus.

Moi, par exemple, j'ai eu également un père distant et assez rustre. Eh bien, j'aime aujourd'hui les hommes et j'ai du désir pour eux aussi, pour autant, je suis incapable de leur faire confiance, que ce soit individuellement ou collectivement.
Et j'ai également de grandes difficultés à me livrer ou à entretenir une relation équilibrée, apaisée, confiante avec un homme, ne serait-ce qu'amicalement.
Ce n'est pas faute d'avoir essayé, j'en suis incapable. Ce qui m'est difficile à vivre mais j'essaie de faire avec ou plutôt sans sic.

Damstounet a dit…

Eh bien, j'entretenais également les mêmes rapports avec mon père. Et sa présence, son soutien m'ont constamment manqué, surtout face à une mère tyrannique, envahissante et violente. C'est un vide énorme, très douloureux, qui ne s'évanouit jamais complètement.
Voyez-vous, il peut être très difficile de constater que votre père est là physiquement parlant mais qu'il ne semble pas réellement se soucier de vous.

Et j'ai beau avoir couché successivement avec des tas de mecs, je n'ai jamais pu réellement me reposer sur eux. Il faut dire que les quelques relations amoureuses que j'ai vécu - au mieux, décevantes ; au pire, désastreuses re-sic - n'ont rien arrangé non plus.

D'un autre côté, pour nuancer le tableau, on a le cas de Guy, qui a très bien vécu d'avoir eu un père assez peu démonstratif donc on peut en déduire que rien n'est joué d'avance et qu'en fonction du caractère et des aspirations d'un individu, celui-ci ne vivra et ne percevra pas les choses de la même manière qu'un autre et que tout cela peut aussi évoluer avec le temps.

Mais, il est vrai, qu'un enfant handicapé est tout de même une situation assez particulière.
Mon conseil, vu que cela vous préoccupe, serait d'essayer d'apprendre à votre mari à dialoguer avec vous, à exprimer ce qu'il ressent, quelque soit le sujet ou la situation - tant verbalement que physiquement.

Il aura plus de facilité, je pense, à la faire avec vous qu'avec votre enfant et petit à petit, vous pouvez essayer de l'inciter à le faire avec votre fils car les deux sont visiblement quelque peu liés.

Rien n'est gagné d'avance, c'est certain et c'est bien entendu un travail de longue haleine où les résultats ne sont jamais vraiment garantis mais si cette question vous préoccupe réellement, je crois qu'il vous faut essayer...

Et seul votre enfant pourra réellement apprécier les fruits de ces éventuels efforts une fois adulte...

Et si toutefois vous souhaitez que nous restions en contact, je vous laisse mon msn : damstounet@live.fr