mercredi 16 mars 2011

Confidences entre mecs, à poil sur les rochers

Il est mécanicien de précision, il a commencé sa carrière professionnelle dans les années 1960, a travaillé en Suisse et en Allemagne. Il raconte ses années à Munich. Le vendredi, la production s'arrêtait à 15h. et tout l'atelier se mettait au nettoyage. Spontanément, un gars commençait à chanter et les autres suivaient. À l'unisson, ils reprenaient les marches que leurs pères -- disparus, ou encore en vie -- avaient entonnées en envahissant l'Europe de l'Atlantique à l'Oural. La halle entière vibrait du sol au plafond sous les accents martiaux de ces voix qui se donnaient à fond. Les paroles de ces chants n'avaient pas changé, pourtant elles avaient pris un sens nouveau, celui de la reconstruction des mentalités et d'un pays ramené à une petite échelle.

Nous parlons ensuite de nos jardins, du printemps. Nous sommes étendus au soleil à bonne distance l'un de l'autre, sur des rochers au bord de l'eau. Une pensée (les mauvaises herbes déjà envahissantes) en amenant une autre, il observe mon bas-ventre puis fixe son nombril. Surmontant sa pudeur, il raconte qu'au printemps, il a l'habitude de se débroussailler "là en-dessous". Le besoin s'impose tout à coup, il ne résiste pas. Sinon, il ne s'occupe pas de son corps, "c'est pas dans les habitudes de notre génération. Les ongles des mains et des pieds et basta." La première fois, il y a une dizaine d'années, il a manqué de souplesse et de précautions en passant la lame et son rasoir était rouge à la fin de l'exercice. Réaction de sa femme: "Bien fait!" Depuis, il a cessé d'en parler avec elle: le corps de son mari ne l'intéresse plus.

Après ce trop-plein de confidence pour un homme comme lui, il se ressaisit: "Mais je ne me les rase pas trop souvent..." Puis demande: "Il est pas là votre copain?" Je réponds: "Il n'est pas mon copain, mais un pote fidèle qui m'oblige à nager plus loin, plus longtemps." Pour lever l'ambiguïté -- parce que c'est un lieu où des hommes d'orientations diverses aiment se retrouver en compagnie d'autres hommes à poil -- je précise: "Mon compagnon a quitté ce monde."

Est-ce que mon grand amour et moi nous en serions venus un jour à nous tourner le dos, au lit ou ailleurs, s'il avait survécu à son cancer? J'aime imaginer que lorsque nos corps délabrés auraient cessé d'allumer l'étincelle, nous aurions feuilleté ensemble des livres d'images à deux mains, les autres s'appliquant à remplir leur mission.

André

2 commentaires:

Pierre-Henry a dit…

Ma psy dit que cette honte que les mecs ressentent en présence d'autres mecs de n'être pas assez virils nous pousse à cacher nos sentiments, nos intérêts (à part le foot et les bagnoles), nos petits fantasmes, ou à n'en parler qu'avec notre meilleure copine. Pourtant il n'avait rien fait de mal le mécanicien en se rasant. Si ça lui plaît. Mais il craint d'autant plus la moquerie des hommes puisque sa femme l'a déjà humilié. Je suis d'un âge moyen. Je ne sais pas si les jeunes sont vraiment plus libérés. Je l'espère. Pour eux l'épilation n'est pas un sujet tabou. Mais il y en a d'autres, je le crains. Nous devons apprendre à parler entre nous et à écouter sans nous moquer. La moquerie, c'est être sur la défensive. Je ne sais pas si je me fais comprendre, mais dites-le moi sans vous moquer svp!

Anonyme a dit…

la fin de larticle est joli & marante a la fois.

on pourrait dir aussi kla mokri, sè une réaction d'agression contre autrui ki permet de cacher sa vulnérabilité face a autrui.