samedi 4 juin 2011

Deux fils découvrent la face cachée de leur père

J'habite au bord du Léman, que traverse le Rhône qui se jette dans la Méditerranée. Je passe trois jours dans la petite ville alémanique de Soleure, que traverse l'Aar qui se jette dans le Rhin afin d'irriguer la Mer du Nord. Les 33e Journées littéraires de Soleure, durant lesquelles plus de cinquante auteurs se relaient d'heure en heure pour lire quelques pages de leur dernier ouvrage paru -- cette année en allemand, dialectes alémaniques, français, italien, romanche, néerlandais, anglais, russe et ukrainien -- démontrent que les littératures indigènes et invitées irriguent l'Europe occidentale du Nord au Sud. Les auteurs régalent un public nombreux dans la somptueuse bâtisse qui nous reçoit; ils se rendent aussi sur la place publique pour partager quelques paragraphes avec les passants; et sous une tente obscure dressée par la Fédération suisse des aveugle afin de faire entendre leurs textes aux non-voyants et aux voyants immergés dans le noir.

En Suisse, le train aussi est littéraire. Le wagon qui m'a amené à Soleure était dédié au théologien et grand écrivain bernois Jeremias Gotthelf (1797-1854) dont j'ai copié cette citation: "La bénédiction d'un amour vrai, c'est qu'en l'amour lui-même se trouve le baume qui guérit des blessures de l'amour." Wouah!
Alain Claude Sulzer: "Une autre époque".

Hier, l'écrivain bâlois Alain Claude Sulzer ouvrait les feux dans la grande salle en lisant des extraits de "Zur falschen Zeit", paru en 2010 et en français cette année sous le titre "Une autre époque" (Jacqueline Chambon). Un ado enquête sur le père qu'il n'a pas connu et dont on ne lui a jamais parlé, parce que certaines choses ne se disent pas. Il découvre que ce père était homosexuel, c'est pourquoi on l'avait interné en psychiatrie dans les années cinquante. Prix Schiller en 2005 et Médicis étranger en 2008 pour "Un garçon parfait", Sulzer est très apprécié en France. Dans "Leçons particulières" (Chambon 2009), comme dans son plus récent roman, il dévoile peu à peu des secrets douloureux; les amitiés particulières et les tourments qu'elles entraînaient encore, il n'y a pas si longtemps. Sa langue est déliée, elle nous envoûte. Sulzer partage sa vie entre la France, la Suisse et l'Allemagne. Son compagnon est un acteur allemand qui l'accompagnait hier, le protégeant discrètement lorsque les lectrices-admiratrices, et quelques beaux lecteurs aussi, devenaient pressants.

La vedette de la journée, à mon sens, était l'Autrichien Arno Geiger (1968) qui vient de publier "Der alte König in seinem Exil" (Hanser Verlag). Le vieux roi en son exil, c'est le père d'Arno. Il contracte la maladie d'Alzeimer. Stop! pas du genre larmoyant, ni plaidoyer! Un récit fascinant sur une relation père-fils qui se transforme une fois de plus -- elle avait connu des moments merveilleux, puis d'autres très conflictuels. Et là, au fur et à mesure que la démence s'intensifie, le fils trouve de nouveaux moyens de communiquer avec cet homme qui s'enfonce tout en gardant d'étranges facettes d'humanité. Un voyage dans l'inconnu, acclamé par le public des trois pays germanophones, à juste titre.

André

4 commentaires:

Serge a dit…

J'ai beaucoup aimé le dernier de Claude-Alain Sulzer parce qu'il est pudique dans les sentiments, véridique, proche de notre passé récent et de nous. Qui ne sommes ni trèsbogosses, comme dans les romans gays habituels, ni riches avec un tonton tata qui vit avec son coach de sport torride et nous invite pour les vacances avec nos amis pourvu qu'ils soient "reconnaissants" durant les partouzes arrosées au bord de l'océan, bla-bla.

Drago a dit…

Je m'occupais de mon père impotent pour donner une semaine de vacances à ma mère. Nous étions sous la douche, lui sur un tabouret, moi occupé à le savonner lorsqu'il m'a dit: tu es un bon fils. Le compliment, c'est pas son truc. J'ai pris mon courage à deux bras et j'ai fait: tu sais papa, je suis homosexuel, je me suis pas marié pour pas rendre une femme malheureuse. Mes parents disaient souvent: Pourquoi tu rends pas une femme heureuse? J'ai pas l'impression que ma mère l'a été souvent. Ou bien: quand tu nous donneras des petits-enfants? Sous la douche mon père a finalement dit: Dieu te pardonnera. J'ai répondu: je suis né comme ça, il y a rien à pardonner. Je l'ai vu froncer les lèvres comme quand il ne veut pas admettre. Il n'a plus rien dit.
Les gars, cela ne sert à rien d'attendre que vos parents soient prêts pour leur dire. C'est votre vie.

Jacques V. a dit…

Vue de Bordeaux, la petite Suisse étonne et particulièrement sa région allemande avec le rayonnement littéraire européen que vous décrivez. Quel régal ces lectures qui transcendent les régions, les langues, les styles d'écriture et les genres devant un public polyglotte! Vous me redonnez le goût de voyager. Merci!

Anonyme a dit…

ressen la mème chose ke jacques.