jeudi 28 juillet 2011

Freud: "Le modèle nu et moi, nous faisons un tableau, pas l'amour"


Leigh sous la lucarne, 1994.

La peinture de Lucian Freud, nous l'avons constaté dimanche, ne cherche ni à enjoliver ni à titiller.

Le tableau et son modèle.
Il a peint des séries de nus féminins, dont plusieurs représentaient ses filles adultes. L'artiste Leigh Bowery (ci-contre) lui a demandé un jour si ce n'était pas "extrême". Freud a répondu: "Mes filles nues ne me font aucunement honte." Une autre fois, il s'est expliqué plus clairement: "Pour moi, peindre les gens nus, que ce soient mes amantes, mes enfants ou mes amis, ce n'est jamais une situation érotique. Le modèle et moi, nous faisons un tableau, pas l'amour. C'est quelque chose que les gens qui ne sont pas peintres n'arrivent pas à comprendre. De plus, une personne qui se met nue devant moi appelle une certaine considération -- voire de la galanterie -- de ma part. En ce qui concerne mes enfants, c'est la considération d'un père autant que celle d'un peintre."

Homme nu, vue dorsale, 1992.
Leigh Bowery (ci-contre, de dos) a posé pour des portraits et des nus au début des années 1990. Né en Australie (1961) il est mort à Londres (1994) des suites du sida. Par son dandysme et ses trouvailles en body art, cet artiste de performance, ce travesti, musicien et couturier a influencé le monde pop des Boy George et Scissor Sisters, des clubbers et des couturiers comme Vivienne Westwood, Alexander McQueen ou John Galliano.

Nu avec jambe surélevée: Bowery.
Freud et lui se sont rencontrés au moment où le peintre cherchait l'inspiration hors de son cercle privé. Leigh sous la lucarne nous montre que dans leur corps à corps -- ou corps accord -- le modèle surplombe le peintre et lui résiste. Une certaine fascination provenant de leurs différences habite les deux hommes, l'un touche-à-tout, l'autre obsessionnel dans sa quête.

Pose des jeunes mariés dans l'atelier du peintre.
Et Freud devient le témoin, comme on dit "témoin de mariage", du dernier coup de théâtre de l'acteur qui n'a jamais caché sa gayitude. Sept mois avant sa mort, Leigh Bowery épouse sa costumière et collaboratrice de longue date, Nicola Bateman. Le peintre les fait poser dans son atelier. Il intitulera le tableau Et le marié. Allusion à deux vers du poète homosexuel Alfred Edward Hausman: "Et le marié, la nuit durant / Jamais ne se tourne vers la mariée." Sur son lit de mort, Bowery n'a pas manqué un dernier bon mot: "Dites-leur que je suis parti élever des porcs en Bolivie."

André