mercredi 3 octobre 2012

Deux gars sous la douche qui échangent des mots d'amour


C'était une histoire d'amour et d'eau chaude, entre lui et moi. Tous deux nous aimions les caresses sur une peau glissante. Donner, recevoir. Sous la douche, en conversation dans la baignoire, au hammam, après avoir nagé en mer ou au lac. Sinon: sur une bite et des couilles bien sèches, remontées, généreusement poudrées de talc... Lorsque nous nous retrouvions, les préambules débutaient souvent à table ou sous la douche. Un sourire encore timide de réappropriation, puis coquin qui traduisait les intentions communes. Je te passe la salade? / je te savonne le dos? et ainsi de suite, posément, parce que l'entrée en matière est un moment de pur délice dont nous voulions capter les nuances. Ensuite les mains, les genoux, le ventre se faisaient plus familiers, entreprenants, possessifs; l'eau coulait, la tension montait.


Lui m'a appris à dire des mots d'amour au quotidien. Mon éducation, ma pudeur m'avaient privé de cet art. D'accord pour les grandes déclarations initiales, c'était indispensable. Ensuite: bon, on se comprend, pas besoin de se répéter... Lui avait besoin de caresses auditives. Après une période d'entraînement durant laquelle je me forçais, cela m'est devenu naturel. Mes mots d'amour caressaient agréablement ma langue.

À la fin de sa vie, son corps amaigri avait besoin du mien comme matelas. Nous nous étendions dans la baignoire, je le tenais dans mes bras. Il n'aimait pas voir mes larmes; là, elles coulaient incognito se mélangeant à l'eau du bain qui nous entourait de sa chaleur. Son cancer l'a emporté à la fin de l'été, il y a dix ans. Aujourd'hui seul sous la douche, je sens tomber la pluie sur mes épaules et je regarde le savon. Il n'y a rien de plus tendre, chaleureux et fascinant que de se laver l'un l'autre et sentir monter la tension, les yeux fermés.

André



6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour André,

Bien sûr, gratitude envers vous de nous livrer ce moment, ces moments intimes, précieux, tendres et graves de votre vie.

Je crois que, assidus à vous suivre, nous serons plus d'un à en apprécier la caresse chaude, liquide et aimablement tendue qui y résonne.

Leçon de la vie : les moments d'amour authentique partagés, les éblouissements, les chaudes tendresses, survivent en nous, au travers des deuils de ceux, de celles, que nous avons profondément aimés. Et il est, de plus, possible d'en transmettre un écho, vivant, à ceux qui ne les ont pas connus.

Bien cordialement

frenchanonymous

Une part de moi a dit…

Parfois, ça fait vraiment très mal de revenir sur nos pas. Mais c'est une chose qu'on fait en connaissance de cause parce que ces moments là nous font du bien aussi. Merci de nous avoir offert cette part de toi.

Anonyme a dit…

Merci André.

Philippe a dit…

Bonjour André...

...sans voix... sans mots... comment te dire ce que je ressens à la lecture de ces lignes ?... Comment te faire part de ce sentiment de me trouver là, face à l'Amour brut et nu ? A l'Amour débarrassé de toutes ses peurs et restrictions de toutes ses grimaces et autres contingences humaines...
A cet Amour qui me (nous ?...) fait encore si peur... ?!

MERCI

André a dit…

Merci les gars de vos réactions chaleureuses! Je ne me rendais pas compte en rédigeant ce billet tout linéaire qu'il susciterait de tels commentaires. Mi-septembre et mi-octobre sont des dates fatidiques (= qui marquent une intervention du destin) dans ma vie, la perte de mes deux plus grands amours. Phénomène étonnant: même si je n'y pense pas, mes tripes s'en souviennent et font remonter les sentiments chaque année.

EagerEagle a dit…

Tout est dit et merci de l'avoir si bien dit car nous sommes plus d'un, comme en témoignent les commentaires à avoir ressenti des émotions semblables et les partager en vous lisant leur donne nouvelle valeur et dimension.