mercredi 1 avril 2015

La passion : c'est la souffrance, mais aussi l'adoration charnelle


La flagellation (détail).

Le gentil bourreau, pietà au masculin.
Fasciné depuis son enfance par l'homo-sensualité qu'il sentait autour et dans les arènes de rodéo (ce que ses concitoyens hétéros et machistes ne peuvent/veulent pas encaisser) le peintre texan Delmas Howe est habité par le personnage du cowboy. Dans sa série des Stations (de la croix), il a transposé la via dolorosa de Jérusalem à New York, sur les quais de West Village derrière les entrepôts, là où les gays des années 1960-70 prenaient le soleil et baisaient -- avant que cette zone délabrée ne soit aseptisée. Howe rentrait d'un tour d'Europe où il s'était imprégné de l'art religieux dans les églises et les musées, découvrant avec quelle intensité les artistes avaient fait passer leur sensualité homosexuelle dans des sujets bibliques. Il a décidé de représenter l'irruption du sida dans le décor où il s'était lui-même éclaté alors qu'il étudiait à New York.

Le lieu de rencontre sur les quais.

Le martyr abandonné.

Le baiser de Véronique.
Cette série sombre où figurent des cow-boys mis à nu, privés de tout sauf des accessoires cuir et SM, exprime la rage et le deuil du peintre après la disparition de son compagnon, mort du sida. Sa colère contre l'attitude de rejet des chrétiens de droite, évangéliques et cathos, qui jugeaient la maladie comme une punition divine. Influencé par les représentations de chair masculine dénudée, fouettée et crucifiée vues dans les églises, Howe a peint la souffrance insondable des gays durant les premières années de transmission du HIV. On ressent à la fois la passion-adoration de la chair et la souffrance endurée dans cette même chair, la victoire de la libération sexuelle et la grosse claque qui l'a suivie.

Le couronnement.

La flagellation.

Francesco Bacchiacca.
Si votre oeil est exercé, vous percevrez l'influence du Caravage, de Sebastiano del Piombo, d'Annibale Carracci et de bien d'autres. Celle aussi de la mythologie et de la statuaire gréco-romaines. Le tout au pays du western et des cancéreux Malboro, accompagné d'une réinterprétation actuelle des valeurs masculines. "J'ai grandi sur les genoux de vrais cowboys et mon âme d'enfant a toujours lié érotisme et virilité," déclare le peintre. "Mon oeuvre est étiquetée comme homo-érotique, mais ce n'est pas ainsi que je la conçois. Je vois le cowboy comme la seule valeur qui approche à peu près la mystique romantique aux États-Unis."

The Stripping.

The Awakening.

Angel of the Butte.
Howe relie la tragédie du sida aux souffrances endurées par les crucifiés de jadis. Il ne faut pas y voir une lecture littérale de l'Évangile, me semble-t-il. D'autre part, le peintre américain (né en 1935) nous rappelle que de nombreux grands artistes ont partagé notre orientation sexuelle -- si naturelle, et toujours présente à travers les siècles.

André

3 commentaires:

renepaulhenry a dit…

Excellent... Je te pompe dans mon post du jour.... Tu es en lien quand-même....

unnu a dit…

Étonnante réalisations si fantastiques et pourtant si humaines

ZobàDada a dit…

Ce sont en effet de magnifiques dessins.

Bon weekend de Pâques !