jeudi 13 avril 2017

D'un banquet de "tantouses" à un casse-croûte de 'frères en Christ'

Un sumpósion de tantouses.


En cette semaine de commémoration de l'événement constitutif du christianisme, je vous propose de comparer deux repas mythiques -- tant pour les LGBT que les philosophes ou les lecteurs de l'Évangile. Ils rassemblent uniquement des mâles, prêts à débattre d'un sujet sérieux: l'amour. Sans participation féminine. Pas d'épouse ni de maîtresse, pas de servante pour passer les plats, ni d'esclave pulpeuse pour sucer les mecs pendant qu'ils délibèrent.


Le dieu Éros.

La première de ces réceptions est relatée par Platon dans les années 380 avant notre ère. Le texte est intitulé Συμπόσιον, Sumpósion, traduit en français par Le Banquet. L'amour, écrit l'auteur, est une fureur qui se répand du corps à l'âme et peut nous porter jusqu'au délire divin. L'éros, c'est le désir total, l'élan religieux qui nous relie à l'exigence extrême d'unité. Pour Platon, les accouplements des Athéniens, hommes avec femmes ou entre mâles, répondent uniquement à une nécessité érotique, tandis que l'amour idéal est libéré de la sensualité. D'où l'expression d'amour platonique... Les sept convives du banquet ["cette assemblée de tantouses" selon le psychanalyste Jacques Lacan qui voyait de la perversion dans toutes les manifestations de l'amour] nourrissent des conceptions différentes et Platon leur donne la parole.

Entre mecs, l'amour supérieur: du corps et de l'esprit.
Il est surtout question de la relation pédérastique -- entre un adulte et un adolescent -- que les Athéniens maintenaient dans un code strict: pas d'enculage, seul est permis l'acte intercrucial, la jouissance de l'aîné entre les cuisses du cadet. Je n'y étais pas et ne puis vous effirmer que cette limitation était respectée. La tâche principale de l'adulte [le daddy des pornos américains] était de veiller à l'éducaction du jeune homme pour en faire un citoyen modèle. "Il est beau de céder de belle façon à un homme de valeur," déclare Pausanias qui prêche l'amour du corps et de l'esprit, celui de l'Aphrodite céleste, entre mecs, et l'oppose à l’Aphrodite populaire, purement sexuel et reproductif entre hommes et femmes.


Comment reconstruire le binôme?

Aristophane, lui, décrit les débuts de l'humanité: l'être était constitué de deux identités collées l'une à l'autre. Soit deux mâles, deux femmes dos à dos ou un couple mixte. Ces céatures s'étant révoltées jusqu'à parvenir au royaume des dieux, Zeus les punit en les coupant en deux. Ami lecteur, tu peux comprendre leur malheur: ce besoin irrépressible de reconstituer le binôme, de draguer jusqu'à trouver enfin sa moitié parfaite, ou de ne jamais y parvenir définitivement... Selon Eryximaque, l'amour s'étend aux rapports entre tout ce qui vit, autant les êtres inanimés que les humains. Une maladie peut être provoquée par le conflit entre deux principes contraires présents dans le corps. Pour guérir, il faut rétablir l'harmonie entre eux... La péroraison (la conclusion de ces développements oratoires) nous propose de cheminer du désir d'un beau corps vers la passion envers une belle âme pour aboutir à la contemplation de la beauté absolue... Bon voyage, les gars!


L'autre casse-croûte entre mecs se déroule au début de notre ère. C'est le dernier repas de Jésus avec ses disciples, avant sa mort et sa résurrection. Selon l'évangile de Jean, le repas a déjà commencé lorsque le futur crucifié se lève, se débarasse de ses vêtements devant ses compagnons et lave leurs pieds poussiéreux. Détails ici.

"Il n'y a pas d'envoyé plus grand que son seigneur..."
Simon-Pierre est choqué. Jésus explique à ses disciples que la leçon à retenir est qu'ils devront demeurer unis dans l'égalité après son départ. "Je vous dis qu'il n'y a pas de serviteur plus grand que son maître, ni d'envoyé plus grand que son seigneur. Heureux vous qui, sachant ces choses, les pratiquez." On peut lire dans cette affirmation, comme dans d'autres versets de la bible ou des textes de l'époque (qui ont été censurés), que Jésus ne place ni le clergé, ni la famille patriarcale au-dessus de l'individu. Et qu'il respecte totalement les hommes vivant leur sexualité avec un homme, à condition que ce soit par amour.

À Pâques, longs trajets pour courts séjours, orgies d'agneau et de choco. Alors que tant de femmes, d'hommes et d'enfants meurent sous les bombes ou durant leur fuite.
À l'opposé des Églises et autres communautés religieuses qui veulent nous dicter la conduite de notre propre vie, Jésus met en avant la fraternité, l'égalité et la camaraderie entre ceux qui désirent suivre ses préceptes. L'altruisme, le dévouement et la vérité. L'absence de jugement, le respect. C'est-à-dire la faculté de se mettre dans les bottes et le slip d'autrui ou, du moins, de l'interroger et l'écouter. Pas besoin de faire un dessin... Mais prendre le temps, peut-être, de lire ou relire Le Banquet de Platon qui expose plusieures manières d'envisager l'amour et l'union charnelle, voire spirituelle, sous d'autres dimensions.

André

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a une faute de français avec "ne puis vous effirmer" au lieu de "ne puis vous affirmer"

André a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
André a dit…

Salut Anonyme!

Merci de relever l'erreur de frappe commise par un vieux schnock de 81 ans dont la vision baisse. Ce soir, La Grande Librairie reçoit parmi ses invités Muriel Gilbert, correctrice au quotidien Le Monde, pour son bouquin "Au Bonheur des fautes" -- une soeur pour toi.

Le vieux blogueur se donne une peine de chien pour rassembler deux banquets mythiques et se demander s'ils ont encore valeur aujourd'hui. Et il serait heureux de lire ce que tu en penses puisque tu as lu le texte attentivement...

clodoweg a dit…

Tss Tss... Anonyme se trompe, ce n'est pas une faute de Français mais une simple faute de frappe. Je suppose qu'A. n'est si minutieux que par bienveillance envers André dont il voudrait que le texte soit parfait.
Ceci dit tu parles de passages censurés dans des "textes de l'époque" , as-tu vu ces passages censurés et sais-tu dans quels textes ils se trouvent.
Quant à l'opinion de Platon sur l'amour spirituel je reste un peu sceptique ; je préfère l'amour charnel quand il est possible.
Une fleur bleue mais avec du poil.

André a dit…

Clodo!

Splendide le mariage entre fleur bleue et hirsutisme; mais difficile de ne se cantonner qu'au spirituel...

Quant aux premiers siècles du christianisme, ils étaient riches en textes, vies de Jésus et échanges de lettres entre les communautés dispersées de la Mésopotamie jusqu'à l'Espagne. Des évangiles ont été écartés du canon biblique parce qu'ils présentaient un Jésus trop incarné pour les culs-bénits de la hiérarchie. Des chrétiens hippies de l'époque organisaient des agapes lors desquelles le sacrement et l'orgie multisexuelle faisaient apparemment bon ménage. Alors que d'autres se retiraient au désert pour mener une vie de renoncement. La plupart de ces documents ont été détruits, volontairement ou non, mais on a retrouvé des fragments qui indiquent que la diffusion du christianisme a vécu de riches heures où les communautés masculines et homosexuelles étaient représentées et honnies ou respectées suivant les cas. C'est ce qui a donné naissance à des vies de Jésus amoureusement entouré de certains disciples.

Xersex a dit…

Bravissimo!!!