mardi 17 mars 2020

Thomas Mann rencontre la beauté d'un ado et l'épidémie à Venise










Dans sa nouvelle La Mort à Venise (Der Tod in Venedig) publiée en 1912, le grand romancier allemand Thomas Mann décrit le voyage de Gustav von Aschenbach de Munich à Venise, ville en proie à une épidémie de choléra. Dans un hôtel du Lido, le cinquantenaire tombe sous la fascination d'un adolescent polonais en vacances avec sa mère et ses soeurs. Le jeune Tadzio est d'une beauté à la fois apollinienne et dionysiaque qu'a su rendre Luchino Visconti, dans son film du même nom, en choisissant l'acteur suédois de 14 ans Björn Andrésen.




(Cette vidéo est un peu lente et traînante, mais le virus actuel nous incite à la patience...)

Nous disposons du témoignage étonnant de Katia Mann, épouse de l'écrivain. "Tous les détails figurant dans la nouvelle [...] sont empruntés à la réalité. Dans la salle à manger, le tout premier jour, nous avons vu une famille polonaise telle que mon mari l'a décrite: les filles habillées d'une manière assez stricte, sévère, et le charmant, ravissant jeune garçon d'environ treize ans vêtu d'un costume marin avec un col ouvert et de jolis rubans. Il a aussitôt attiré l'attention de mon mari. Ce garçon était extrêmement séduisant et mon mari ne cessait de le regarder en compagnie de ses camarades sur la plage. Il ne l'a pas suivi à travers tout Venise -- cela, il ne l'a pas fait -- mais le garçon le fascinait vraiment, et il pensait souvent à lui... Je me rappelle encore que mon oncle, le conseiller privé Friedberg, célèbre professeur de droit canon à Leipzig, était indigné: "Quelle histoire ! Un homme marié et père de famille, en plus ! [disait-il]."





Le jeune garçon polonais que décrit Katia Mann s'appelait en réalité Wladyslaw Moes et sa mère la baronne, interprétée dans le film par la merveilleuse Silvana Mangano, le surnommait Wladzio. "Dans la nouvelle, raconte-t-il,  j’ai tout retrouvé exactement décrit, jusqu’à mes vêtements, ma façon de me comporter -- bonne ou mauvaise -- et les blagues salaces que je faisais avec mon ami sur le sable. On me considérait comme un enfant très beau. Les femmes m’embrassaient quand je marchais le long de la promenade. Certaines d’entre elles faisaient de moi des dessins et même des peintures. Mais dans mes souvenirs, tout cela me paraissait sans importance. J’avais ces manières adolescentes que montrent les enfants trop gâtés."



En 1922, Thomas Mann fait partie des personnalités allemandes qui ont eu le courage de signer la première pétition pour l'abolition de l'article 175 du Code pénal allemand condamnant les relations homosexuelles entre personnes adultes. Père de six enfants, écrivain défenseur des valeurs bourgeoises, opposant au régime nazi, Mann n'a probablement jamais passé à l'acte, malgré les beaux garçons dont il s'est parfois entouré. La Mort à Venise exprime les angoisses d'un homme aux prises avec ses propres démons. En 1936, alors qu'il vivait en Suisse, il fut déchu de sa nationalité allemande à cause de ses positions politiques. Il s'exila aux États-Unis où il retrouva plusieurs artistes allemands. En 1952, il s'est de nouveau installé en Suisse où il est mort et fut enterré trois ans plus tard près de Zurich.



Thomas Mann était le frère de l'auteur Heinrich Mann et le père des écrivains Erika et Klaus, de l'historien Golo et du musicien Michael Thomas. Erika fut aussi journaliste et actrice, la compagne de plusieurs femmes dont Annemarie Schwarzenbach. Elle n'a jamais vécu avec son mari, le grand poète W.H. Auden qu'elle avait épousé pour obtenir la nationalité britannique. Après la Seconde guerre mondiale, Erika et Klaus furent l'objet d'une enquête du FBI au sujet de leurs opinions politiques et de rumeurs concernant leur homosexualité. C'est en 1949 que Klaus Heinrich Thomas Mann s'est suicidé à Cannes. Il avait quitté l'Allemagne lors de l'arrivée des Nazis au pouvoir, était devenu citoyen tchécoslovaque, puis avait pris la nationalité américaine en 1943 et s'était engagé dans l'armée. Dépressif et toxico, il n'était pas arrivé à se faire une place à son retour en Europe. Dans cette famille trop douée, la mort ne fut pas qu'à Venise !

André




















7 commentaires:

cor unum a dit…

Bonjour de France, comme d’habitude très bien écrit, de la culture, un régal pour les yeux, merci, merci. Christian

Xersex a dit…

vraiment interessant!

Anonyme a dit…

j'ai beaucoup aimé l'ambiance de ce film et la beauté du jeune. La musique est bien adaptée à l'environnement. beaucoup d'ambiguïté dans son comportement.

Philippe a dit…

Hello André,
Merci pour ces belles photos (mes coups de cœur : 8, 14, 18) et les textes.
C'est toujours une bonne surprise de découvrir photos et texte, en un mot superbe.
A propos, comment vas-tu face à la pandémie ?
Bon courage et bisous,
Philippe

David Jean-Félix a dit…

Merci pour l'article. C'est toujours un plaisir de te lire.

André a dit…

Merci les gars !

Vos commentaires me vont droit au coeur et m'incitent à continuer la publication de ce blogue, malgré les 84 ans qui font de moi un vieux couillon que le virus a décidé d'éradiquer. J'ai l'impression qu'il n'y parviendra pas.

Je n'ai souffert d'aucun rhume, d'aucune grippe ni d'une de ces maladies plus graves qui fragilisent le système immunitaire depuis que je suis à la retraite. C'est un privilège que j'entretiens en suivant des cours de yoga, en méditant un peu, en jardinant, en ayant choisi un régime végétarien. À ce propos: le virus qui nous extermine actuellement provient d'un animal...

Xersex a dit…

Je n'ai pas été malade non plus cet hiver. En fait, au début d'octobre, dès qu'il a été disponible, je me suis fait vacciner contre la grippe. En moi, ce type de vaccin fonctionne.