jeudi 7 août 2008

Comment les empereurs romains vivaient leur (bi)sexualité


L'article du Monde (repris par Le Temps) sur l'exposition que le British Museum consacre à Hadrien qualifie l'empereur de "gay". Anachronisme. "Gay" est un vocable étatsunien de la fin du XXe siècle qui signifie un état d'esprit bien différent de ce que pouvaient ressentir les hommes romains qui aimaient les hommes et étaient mariés à une femme. Il n'existait pas de terme pour définir l'homosexualité, ni en grec ni en latin. A l'époque d'or de l'Empire, aucun coming out, les citoyens mâles vivaient ouvertement leurs orientations (le pluriel était préférable) comme bon leur semblait. A condition de respecter certaines règles.
La bienséance consistait pour un homme libre, un pater familias, à s'abstenir de baiser un autre citoyen adulte libre et à ne jamais se faire pénétrer. Il pouvait faire l'amour aux femmes, aux esclaves, aux ados et aux étrangers. Et la pédérastie n'était plus considérée comme une étape de l'éducation des très jeunes hommes, telle qu'on l'envisageait précédemment en Grèce. Les conservateurs critiquaient cette pratique lorsqu'ils en avaient connaissance, comme de nos jours ils condamnent les politiciens qui se font faire une pipe par une stagiaire. En revanche, le poète Martial que son épouse avait découvert en train de faire l'amour à un garçon, avait repoussé son offre de répéter l'acte avec elle sous prétexte qu'une femme "n'a que deux vagins". Autre muflerie de l'époque: on ne considérait pas que la personne pénétrée pouvait prendre plaisir à l'acte. Pourtant, il est dit que Néron (le premier empereur a prendre officiellement mari, en plus d'une épouse) imitait les gémissements d'une fille dans les affres de l'amour lorsqu'il se faisait tringler par un solide gaillard. Les vrais mâles le méprisaient, le traitant non de folle (anachronisme), mais d'eunuque. Jules-César s'était fait enculer au cours de ses missions à l'étranger; on racontait qu'il était "le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les hommes".
Des douze premiers empereurs romains, un seul, Claude, avait la réputation d'aimer exclusivement les femmes, ce que Suétone lui reprochait. Au sujet de Trajan (à gauche), qui a précédé Hadrien, Cassius Dio a écrit: "C'est sûr, il était tout dévoué aux garçons et au vin; mais s'il avait commis un acte répréhensible à cause de ces passions, il aurait été désavoué. En fait, il pouvait boire tout le vin qu'il voulait et pourtant demeurer sobre; et dans sa relation aux jeunes hommes, il ne fit de mal à aucun."

L'empereur Hadrien (à droite) était connu pour honorer de ses faveurs sexuelles les femmes mariées et les adolescents. Antinoüs, son favori, avait 13 ou 14 ans lorsque que le grand guerrier, voyageur, architecte et poète tomba amoureux de lui en l'an 124. C'était en Bithynie (Grèce). Dès lors, le jeune homme accompagna son amant dans ses nombreux déplacements à travers l'empire. Jusqu'à ce 24 octobre fatal de 130, en Égypte, où Antinoüs se noya dans le Nil. Qu'est-il arrivé à ce sportif aguerri mort dans des circonstances mystérieuses? On n'en sait rien puisque les écrits de l'empereur ont disparu. Les historiens de l'époque rapportent qu'Hadrien pleura son amour "comme une femme". Le chagrin de l'empereur dépassait tout entendement. Il fit ériger une centaine de statues de marbre à son image, fonda la cité d'Antinoopolis en sa mémoire et instaura un culte dans l'Est de son royaume où le défunt était assimilé à Osiris, réincarnation du dieu égyptien. C'est ainsi que le chagrin de l'empereur donna naissance au dernier dieu païen de l'antiquité.

|| Ulysse

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