mardi 28 octobre 2008
L'arbre généalogique (3): et si on n'aime pas (que) les poires?
Le lendemain du repas qui avait réuni une partie de ma famille maternelle, je ne regrettais pas d'y avoir participé. Pourtant, ce qui nous avait liés dans la petite enfance était devenu bien ténu. Seul importait l'héritage psychologique reçu de nos ancêtres. Par exemple, la liberté avec laquelle ma mère peignait, cuisinait, improvisait. Son détachement matériel: pour elle l'argent et les forces disponibles servaient à payer les études de ses enfants, soulager la misère, inviter des étrangers et des solitaires à sa table. Côté ombre: elle était incapable d'exprimer son amour, ses colères ou de reconnaître ouvertement ses erreurs. Trop de pudeur aussi autour des morts qui avaient marqué son enfance et la jeunesse de son mari -- mon père. Avec le soleil, nous recevons aussi l'ombre en héritage; à nous de développer les qualités et de fouiller les ténèbres pour nous libérer peu à peu du passé de nos parents comme du nôtre.
Je me disais aussi -- et là, il faut se pincer: si ces gens que j'ai observés hier vivent (presque tous) selon les préceptes de leur religion, relativement chastement avant le mariage, puis dans la fidélité conjugale, alors moi... j'ai connu bibliquement bien plus d'hommes et de femmes qu'eux tous collectivement. Pourtant j'ai aussi traversé des périodes de monogamie harmonieuse lorsque j'étais en couple. Mais le reste du temps: So many men, so little time. Il y a tant d'hommes à aimer et la vie est si brève...
Jeune adulte dans les années cinquante, après avoir lu le bouquin One in Twenty qui traitait de l'homosexualité -- un des seuls à l'époque -- je m'amusais en sortant des cours à compter le nombre de personnes entassées dans la voiture de métro. Jusqu'à vingt, c'était moi le pédé de la statistique. A quarante, il devait y en avoir un autre, ou une lesbienne. A soixante, nous étions trois... Alors, combien étions-nous de bisexuels ou d'homos présents à ce repas d'anniversaire? Mystère.
Des types et des nanas mal dans leur peau, certes il y en avait, comme partout. Mais d'où venait leur souffrance? De la misère sexuelle habituelle? D'une bi- ou homosexualité mal ou pas assumée? De leur profession? Des soucis parentaux? De la maladie? D'une foi qui n'aurait pas trouvé le lieu où s'épanouir? D'une soumission au milieu ou à leur propre passé?
Il y a des moyens de s'en sortir, des portes à ouvrir, puis à franchir pour s'émanciper. Et un prix à payer. Reprenons le mythe de l'arbre de "l'expérience du bon et du mauvais" en Éden. Dieu avait dit: "Le fruit de l'arbre au milieu du jardin vous n'en mangerez pas et n'y toucherez pas, sinon vous mourrez". Ève et Adam y croquèrent, bien sûr, parce qu'ils en avaient marre de ne manger que des poires. Ils ne moururent pas, mais furent chassés, laissant derrière eux le confort nacré de l'inaction, de la candeur et de la crédulité.
Et Dieu constata: "L'humain est devenu comme un autre nous-même, qui a l'expérience du bien et du mal." C'est aussi ce que disent les États, les Églises, les sectes, les partis politiques, les grandes familles lorsqu'un membre se rebelle et prend la distance nécessaire à son indépendance pour vivre à contre-courant. Et ça se paie.
|| Ulysse
Vous vous vantez de votre sexualité. Mais qu'est-ce qu'elle vous apporte? De l'amertume. C'est vous qui devriez changer. A part ça, joli portrait de famille nombreuse.
RépondreSupprimerAmertume, Liliane? Moi je dit: expérience. Des occasions de mieux comprendre soi, les autres et ce dieu qui ne se laisse pas enfermé.
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