mardi 2 décembre 2008
Histoire de machisme et de condoms entre Rostock et La Havane
Monika Krause, une étudiante de Rostock, ville portuaire de RDA, tombe amoureuse de Jesús Jiménez, un bel officier de marine cubain venu prendre livraison d'un cargo. Elle l'épouse et le suit à La Havane. On est en 1961, l'année de la construction du Mur. Et 45 ans plus tard, Jiménez se souvient: "Nous n'avions pas imaginé combien ce serait difficile, un mariage entre une Allemande et un Cubain." D'autant plus que sa jeune épouse militera bientôt pour les droits de la femme (au royaume des machistes!), puis deviendra éducatrice sexuelle officielle du Régime déclenchant une révolution dans la Revolución. C'est ce que raconte le documentaire La Reina del condón, film à la fois jubilatoire et nostalgique qui sort ce mercredi à Genève et Lausanne.
Les cinéastes zurichois Silvana Ceschi et Reto Stamm nous montrent la transformation d'une jeune Allemande de l'Est émancipée -- cheveux courts, pas de maquillage -- au pays des femmes aux longues chevelures sensuelles. Introduite dans le cercle des proches de Fidel que fréquente son mari, Monika est invitée à collaborer à l'éducation et à l'émancipation sexuelle des femmes par l'épouse de Raúl, Vilma Castro, présidente de l'Association des femmes cubaines. Elle constate que les adolescentes qui fréquentent les internats mixtes, nouvellement créés par le Régime, ne connaissent pas la contraception, tombent enceintes et doivent interrompre leurs études. Elle publie le premier livre d'éducation sexuelle depuis la Revolución. Tout le monde s'en souvient encore aujourd'hui, y compris les petits gars de l'époque qui l'empruntaient à leur mère pour le feuilleter d'une main humide, enfermés dans les toilettes.
Monika Jiménez Krause se rend dans les écoles pour donner une instruction précise avec démonstrations pratiques. Puis elle participe à des émissions régulières à la radio et à la télévision. C'est cocasse car, dans certaines situations, elle n'a pas le droit de prononcer des mots tabous... Le jour où elle démontre la résistance d'un certain accessoire en latex qu'elle remplit d'un litre d'eau, le scandale dépasse les bornes et on la surnomme la reina del condón pour l'humilier. Elle en fait un titre de gloire. Néanmoins, la briseuse de tabous est brisée à son tour.
L'histoire de cette femme visionnaire nous est racontée à quatre voix. La sienne qui nous vient du fond de l'Allemagne où elle vit aujourd'hui; celle de Jesús son premier mari; et celles de Dictys et Daniel leurs deux fils. Ils avaient fui Cuba avec leur mère en 1990; ils y sont retournés, accompagnés des cinéastes, pour retrouver leur père après tant d'années. Les quatre éclairent chacun à sa manière des pans de la vie publique et privée d'une sexologue qui a combattu le machisme, puis l'homophobie jusqu'au k.o., le sien. Épouse embarrassante parfois (le machisme cubain n'a pas encore choisi l'exil). Mère trop connue et gênante par rapport aux petits camarades d'école. Femme que ces trois hommes admirent chacun à sa manière, tout en gardant la distance.
Le film fait revivre le Cuba socialiste des années glorieuses, le clan Castro, ainsi que l'évolution de l'éducation sexuelle germano-cubaine. Et aussi: Cuba aujourd'hui, ses femmes et ses hommes (un peu plus émancipés, désappointés), dans la rue, dans les boutiques, dans les foyers et jusque dans une boîte à travelots rigolote. "Wenn ich Frauen überzeugen konnte, dass sie Anrecht auf ihre eigene Sexualität haben und Machismo nichts Naturgegebenes ist, dann hat es sich gelohnt", conclut Monika, devenue Krause-Fuchs. Mais le machisme est-il seulement une construction sociale, comme elle semble le dire?
Genève: Les Scala. Lausanne: City Club Pully (la salle que fréquentaient Brigitte Bardot et Günther Sachs!)
Ulysse
Moi, c'est l'ironie de cette femme qui brise un énorme tabou en accordant à un journal d'étudiants une interview très novatrice sur l'homosexualité (dont il était interdit de parler). C'était avant "Fraise et chocolat". Et elle-même ignorait que son fils aîné était concerné!!!
RépondreSupprimerUne fois encore: les cordonniers les plus mal chaussés...