De la gauche il tient l'appareil qui capte son image en plongée, tandis que sa main droite contrôle la part de nudité qu'il va offrir en pâture à ses copines/copains et aux inconnus qui surfent sur l'internet. Par millions, les autoportraits de jeunes mecs et de moins jeunes circulent sur la toile sans que leurs auteurs soient forcément conscients de la portée planétaire et indélébile de leur acte.
La majorité de ces photos exhibent le phallus de l'auteur dans sa plus glorieuse dimension. C'est là qu'intervient la fascination. Vous scrutez le visage du sujet, son corps et l'engin. Dans Le Sexe et l'effroi (1994), Pascal Quignard explique que les anciens Romains traduisaient le mot grec de phallos (sexe dressé) par fascinus. Le terme latin de fascina a donné la fascine, le fagot; celui de fascinatio, l'action d'ensorceler et séduire ou le fait d'être hypnotisé, captivé; alors que le fascinum est un charme, un maléfice. Toutes ces bites exposées sur la toile peuvent exercer une fascination extrême, voire un envoûtement qui demande l'intervention d'un prêtre ou d'un psy pour s'en libérer. Habituellement, l'indigestion fait qu'on passe à autre chose.
Albrecht Dürer, 1503.
Se représenter avec tous les insignes de l'autorité est un moyen de s'affirmer pour les rois et les généraux. Se donner à voir dans le plus simple appareil est un besoin généralisé. Les mâles cèdent plus facilement à l'auto-proclamation. Les femmes préfèrent confier le soin de les mettre en valeur à un artiste, un photographe ou à un maquignon. Révéler, embellir, masquer en partie par pudeur ou pour titiller. Orgueil contre humilité -- tel que je me rêve versus tel que je suis.
Avant le numérique, il fallait passer par l'officine de votre magasin local pour faire développer vos photos les plus intimes... Puis de grands laboratoires éloignés ont apporté l'anonymat, en même temps que Polaroid permettait d'éviter cette filière. Auparavant, on posait dans l'atelier d'un peintre spécialisé et on cachait l'oeuvre derrière un rideau amovible. Parmi les grands, Albrecht Dürer a été l'un des premiers artistes à se représenter nu. Plus proche de nous, Egon Schiele a payé cher son auscultation fascinée des chairs amoureuses et angoissées, dont la sienne. Il avait 22 ans, en 1912, lorsqu'il a passé quelques semaines en prison à cause de ses dessins érotiques. Certains tableaux le représentent brandissant son sexe, rouge à force de friction.
Egon Schiele, 1918.
Ulysse
En vous lisant, il me vient le fantasme d'une séance d'exorcisme très SM pour me libérer de ma dose quotidienne de porno. C'est grave docteur?
RépondreSupprimerDe voir ces millions d'autoportraits de kems qui exhibent leur chibre sur le net m'a libéré de l'idée d'être le seul narcissique au monde. C'est rassurant.
RépondreSupprimerEt puis, avec ces artistes de toutes les époques, depuis l'âge des cavernes, qui se sont représentés tels quels en chair et en os, on est en bonne compagnie, nous avec nos portables et nos miroirs. Au-delà du narcissisme, je crois que cela représente notre interrogation sur nous-mêmes. Qui sommes-nous, d'où venons-nous avec ce corps et comment serons-nous dans cinquante ans?
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