Cela m'est arrivé durant la nuit: je me suis mis à haïr le ruban rouge. Je dansais à la discothèque Mad, la bien nommée, où se tenait une soirée Love & Life, au lendemain de la Journée mondiale de la lutte contre le sida. Déjà, me direz-vous, qu'est-ce qu'une vieille pédale vient faire sur une piste de danse, elle qui devrait ronfler à côté du verre contenant son brise-nouille posé sur la table de nuit? Réponse: merde, j'aime gigoter! Ce trémoussement au milieu de femmes et d'hommes qui pourraient être mes petits-enfants me donne un sentiment -- mi-doux, mi-amer -- d'ancien combattant. Et dans le contexte sida: de survivant. Parce que tout mon entourage amoureux et amical des années 1980 y a passé.
J'étais devant la porte de la disco vers 22h, l'heure indiquée par l'association "des personnes concernées par l'homosexualité" qui nous conviait. [Je ne me sens ni cerné, ni con -- je suis homo.] Les portiers m'ont jeté comme un vieux couillon: 23h. Me suis promené dans la ville en gel. Deux jeunes mecs que j'avais déjà croisés avant m'ont salué au passage, nous avons entamé une conversation. Originaires du Biafra, Nigeria, demandeurs d'asile, l'un occupé à Zurich auprès d'enfants dont il prend soin après l'école. L'autre, cantonné dans un village vaudois, laissé sans aucune occupation à l'âge de 20 ans. Triste pays pourri que le mien qui ne sait pas prendre soin, ni profiter des capacités de gens qu'il nourrit avant de les renvoyer. J'ai évoqué le Biafra des années 1960, où j'avais rendu visite à des amis missionnaires après la guerre, puis suggéré au jeune homme, catholique, de s'adresser à son curé, pour qu'il le mette en rapport avec des indigènes vaudois et anglophones.
Lorsque, dans la disco, a retenti la toccata et fugue BMV 565 de Bach, bientôt engloutie dans le boum-boum de 100 décibel, j'ai compris pourquoi je ne supportais plus le ruban. À la fin des années 1980, il marquait l'engagement des personnes atteintes par le sida, celles qui avaient déjà perdu un proche, celles qui se préparaient à cette mort -- leur propre décès ou celui d'un amant, d'un frère, d'un fils, d'un copain. Le rouge sanglant avait, en quelque sorte, remplacé le ruban noir du deuil. Et il fallait un certain courage pour le porter... Mais là, au Mad, le ruban rouge pendu aux cintres, épinglé aux poitrines, faisait partie de la décoration, comme dehors les boules de Noël. À moi, ça les foutait, les boules. Pour les plus jeunes, c'était le signe heureux que sida n'égale plus mort. Quasiment.
André
Merci de ce texte, je suis ému par ce que tu écris là.
RépondreSupprimerEn même temps, si on regarde la réalité, effectivement, sida n'est plus synonyme de mort et depuis 14 ans déjà !
RépondreSupprimerÀ condition d'avoir accès à un traitement approprié et de le suivre bien entendu.
Maintenant, le sida devient un produit marketing utilisé par n'importe qui, y compris par les fameuses associations de prévention.
C'est un peu triste mais c'est ainsi : les choses changent, ainsi va la vie...