jeudi 25 août 2011

Le chagrin des pères, le fardeau des fils


Parmi nous les mâles, hétéros et homos, beaucoup me semblent souffrir d'une absence du père. Le père rêvé -- un gamin qui pouvait dire aux autres: "Mon papa, il est gendarme!" était respecté à l'école --; le père réel -- le chagrin d'hommes ayant dépassé la cinquantaine, et dont les yeux s'embuent lorsqu'ils évoquent la mort de leur père âgé, m'impressionne  --; le père manquant, un sujet intarissable.

Un écart de 41 ans creusait la distance entre mon père et moi. Il avait 41 ans lorsque je suis né, j'en avais 41 lorsqu'il est mort. Je suis l'aîné de sa deuxième famille. Sa première épouse et leurs deux enfants lui avaient été enlevés dans un meurtre collectif. De lui, j'ai hérité l'humour, une certaine distance en face des événements, la fidélité à nos principes pour lesquels lui n'a pas hésité à combattre, même lorsqu'il y perdait des plumes et des amis. Il se battait pour ses convictions religieuses; j'ai choisi la lutte contre les inégalités dont sont victimes les gays. À travers lui, j'ai aussi hérité d'un funeste fardeau: trois morts dont il n'a jamais achevé ce qu'on appelle le "deuil", parce qu'on ne parlait pas de ces choses-là à son époque. J'ai repris le cortège funèbre là où il l'avait quitté; les morts violentes de plusieurs mecs aimés ou amis m'ont foutu de sacrés coups de pieds au cul. Assassinat, sida, suicide, cancer -- pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos cercueils?


Le chagrin que nous causent ou nous transmettent nos pères... J'en discutais dimanche avec un inconnu, nous deux nus au bord de l'eau, l'immensité du lac à nos pieds. Mon interlocuteur disait: "Ce sont les mères qui nous causent problème." Je ne sais pas s'il est hétéro ou homo. Plus tard, un autre mec déclarait: "La société donne trop d'importance à la reproduction de l'espèce (qui est plus qu'assurée à l'échelle planétaire) et à la transmission parents-enfants. Est-ce que vous connaissez beaucoup de pères qui communiquent bien avec leurs enfants? Et de jeunes qui comprennent vraiment leur père? La plupart du temps, les uns et les autres se regardent comme s'ils portaient des masques, dans le style du théâtre grec antique; ils jouent un rôle et qui y a-t-il derrière?" Il ajoutait: "Un homme sans enfant, tout comme un artiste, peut transmettre quelque-chose de plus important que des gènes: des idées, des perspectives sur l'avenir, une manière originale de mener sa vie. Il donne naissance au changement; sa paternité commence dès qu'il inspire une personne par son exemple et sa créativité."
Père, fils et grand-père.

Un autre gars reprenait l'idée au vol: "Un héritage de cet ordre est immédiat; il n'attend pas la génération suivante; il peut inspirer beaucoup plus de personnes qu'une petite famille... Nous sommes à la fois l'héritier, l'héritage et celui qui donne en héritage. Nous pouvons contribuer à alléger la peine, le désespoir ou la honte de ceux qui souffrent. Par exemple: aider la prochaine génération de jeunes lesbiennes et d'adolescents gays à conquérir plus facilement leur autonomie. Comment? En étant nous-mêmes plus honnêtes et plus ouverts en ce qui concerne notre orientation et nos options.

J'espère avoir honnêtement transmis leurs opinions.


André

4 commentaires:

  1. ...la faute aux pères ?...
    ou la faute aux mères ?...

    ...aux deux ! Mon capitaine !

    Et une sacrée évidence: Dans cette Case des Hommes, nous sommes tous des fils de ces fauteurs de souffrances... Et certains en sont eux-mêmes, peut-être, de beaux spécimens pour avoir engendré à leur tour ! (Par ex: votre serviteur...)
    "Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font !"... Ils croient, ces naïfs, que ce n'est qu'en faisant les choses qu'on peut les connaître et les comprendre. Ils ont oublié de traquer la poussière jusque dans les moindres recoins de leur Inconscient... Pire: ils ne savent peut-être même pas qu'ils en ont un !
    Alors, forcément, ils ont des espoirs, des craintes ou même des attentes qui vont les empoisonner toute leur vie...

    Alors oui: comme fils j'en ai bavé, comme peu en ont bavé... Et comme père "fauteur de souffrances", idem... comme mon père en a bavé !(Ah, ces craintes, ces espoirs et ces foutues "attentes" qu'on ne peut s'empêcher d'avoir... pour les autres et pour soi-même !)
    Alors oui: je plaide coupable et je ne cherche même pas les circonstances atténuantes puisque, à la différence de mon père, Freud, je connais et l'Inconscient aussi (enfin, surtout celui des autres !)
    Et vous voulez savoir quoi ? Et bien, je crois que finalement, malgré mes fautes et mes aveux, il y a quelque chose en moi qui ne regrette rien. Je dois être totalement irrécupérable...

    Merci à vous de m'avoir lu et à André de me permettre d'écrire.

    Philippe

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  2. Vous êtes irréductiblement humain, Capitaine! C'est ce que les chrétiens appellent la nature pécheresse de l'Adam. Disons qu'elle est imparfaite, mais perfectible et que, sinon, nous serions des dieux qui, dans la plupart des cas, abandonnent leurs enfants et les condamnent à des sorts pires encore. Relisez la mythologie grecque ou l'évangile, vous constaterez que vous n'êtes pas un père aussi malavisé qu'eux!

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  3. Trop beau Blog André, Félicitations!!
    Je suis de l'Argentine, et tu vois, on te lit ici aussi.
    J'aimerais bien savoir qu'en penses-tu à propos de voir autrement l'amour "père-fils". Je veux dire, le laisser libre!... Sans qu'une possbile "intimité" (et aussi complicité) soit un "tabou" tellement critiqué. Sans les préjugés culturels et modernes qui détruissent la pureté du rapport père-fils (y compris le partage sexuel)
    J'aimerais bien avoir votre avis et surtout qu'on puisse publier quelque chose à propos de cette sacrée relation qui nous "éternise" en quelque sorte...
    Merci de me permettre exprimer une petite partie de ma pensée et de mon sentiment envers cette realité "tribale" et divine.

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  4. Bienvenue à toi, l'Argentin! Dis-nous un peu plus de ta pensée à propos de cette relation et comment tu l'imagines. Après, d'autres commentateurs et/ou moi-même pourrons ajouter notre pensée.
    Je me trouve actuellement en vacances aux Canaries et mes lectures concernent un tout autre sujet: le fascisme nord-américain qui devrait vous inquiéter, vous Sud-Américains, et aussi nous autres gays à travers le monde.
    J'aurai l'esprit plus clair lorsque j'aurai quitté la plage oû se réunissent chaque jour près d'un millier d'hommes nus ¡de toute l'Europe! mais surtout des pays nordiques...
    Bien tribalement à toi!

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