vendredi 7 décembre 2012

Massacre de beaux gars : la fin du monde a déjà eu lieu



Samedi (1er décembre) plusieurs blogueurs ont laissé remonter leurs souvenirs. En les lisant les yeux humides, je revenais à 1985, l'année de toutes les horreurs. Nous avions passé du cancer gay au GRID (gay related immune disorder) pour culbuter finalement dans le sida -- sans connaître de moyen sûr pour nous protéger. Puis sommes devenus des pestiférés parce que nous accompagnions ou soignions des malades. Comme eux, on ne nous touchait plus. Et pourtant, qu'est-ce qu'ils avaient besoin d'être serrés dans nos bras!

Au début de 1985, j'imaginais encore que je dirigeais ma vie; à la fin j'ai compris qu'elle ne suivait pas mon programme. Les secrets que beaucoup d'entre nous avaient choisi de cacher ou de ne partager qu'entre amis sûrs -- leur homosexualité, l'existence d'un compagnon, les mensonges de leur double vie -- étaient soudain révélés au grand jour par une maladie et une mort que tout le monde croyait réservées aux gays, aux toxicos et aux hémophiles.

À différentes intersections de notre vie, nous découvrons des éléments du Grand Jeu jusque-là ignorés (ou enfouis) et nous devons choisir ce que nous allons en faire: les accepter ou les refouler. Êtes-vous prêt à rouler avec ce nouveau véhicule ou allez-vous l'enfermer dans votre garage souterrain?

Si le choc est aussi colossal et que, néanmoins, on refuse de changer, la suite de la vie risque d'être banale et superficielle, entachée d'incidents incompréhensibles. C'est un choix respectable; il reporte la possibilité d'évoluer à un moment plus opportun.

En 1985 et dans les années suivantes, j'ai appris à relativiser plus encore les liens de la famille de sang. J'ai vu aussi ma famille d'élection et de remplacement décimée de mois en mois -- meurtre, suicide, sida.

J'ai connu un vide toujours plus grand autour de moi -- ce que vivent habituellement les personnes âgées qui ne vont plus en visite qu'à l'hôpital et sortent pour les enterrements. Et surtout, j'ai constaté que la mort n'accepte pas la robuste splendeur des gars condamnés dans la fleur de l'âge. Elle exige qu'ils flétrissent et se dessèchent douloureusement avant de leur ouvrir sa porte.

Même pour ceux qui ont le privilège d'en fonder une, la famille n'est pas ce que vous en faites, mais une unité que la vie vous amène à reformuler et redécouvrir fréquemment. Petit à petit; ou de fond en comble.

André

2 commentaires:

  1. Misère ! ...aurais-je donc, sans le savoir, une "vie banale et superficielle" ?... Comment pourrais-je m'en rendre compte en ayant que la mienne comme point de comparaison ?...

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  2. C'est la compréhension que nous retirons de nos choix et expériences qui compte et nous fait avancer.

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