jeudi 19 mars 2009

Les liens entre père et fils qui se nouent sous la douche


C'
est l'un des forums anglo-américains de la toile que je lis
régulièrement. Contrairement aux autres, il n'est consacré ni à la politique ni aux arts, mais à une préférence que partagent les participants. Des hommes d'orientations professionnelle, politique, religieuse et sexuelle diverses, entre 15 et 80 ans environ. Leur prédilection, c'est de vivre nu le plus souvent possible. Chez eux, seuls ou en famille; à la plage en compagnie mixte; entre mecs au vestiaire et dans la pratique de sports qui s'y prêtent; avec des potes en randonnée, en camping; dans des soirées bien arrosées entre frères et cousins.

Sur le forum, les plus âgés se souviennent du temps où les salles de sport, piscines et auberges de jeunes hommes (de tous âges) chrétiens -- oui ces YMCA que chantaient les Village People -- étaient strictement réservées aux mâles. Et il était interdit de porter un maillot pour nager (les fibres de tissu auraient bouché les canalisations, disait-on...). Beaucoup de petits Américains de l'époque, d'Anglais aussi, ont appris la brasse à poil, à l'école ou au YMCA. Ils venaient aussi s'exercer avec leur père et tout le monde était logé à la même enseigne. Aujourd'hui, les membres du forum s'étonnent de la pudeur des adolescents qui se douchent en sous-vêtement dès qu'ils sont en compagnie et portent des maillots de bain qui les couvrent jusqu'aux genoux --une pudeur de femmes du temps passé.

Ils évoquent aussi les liens affectueux, en même temps que respectueux, qui se sont noués entre pères et fils qui partageaient très naturellement ces moments de nudité. Combien les très jeunes garçons étaient fiers d'être acceptés dans le monde des hommes; et tou
t ce qu'ils observaient en regardant les corps d'adultes, leur devenir... Les plus chanceux avaient des conversations d'homme à homme avec leur père ou un oncle (loin des oreilles maternelles) et pouvaient poser les questions qui les turlupinaient. Dans le forum, ceux qui n'ont pas vécu cette proximité avec leur père disent combien cela leur a manqué et leur manque toujours.

Mon père, bien
que présent et attentif à sa manière, ne manifestait pas d'affection. Des événements tragiques l'en avaient empêché. Je me souviens de l'avoir vu nu dans sa baignoire lorsque j'avais peut-être deux ans. Plus jamais ensuite (malgré diverses tentatives de ma part) jusqu'à l'âge de 41 ans (il en avait 82) où, peu de temps avant sa mort, je l'ai veillé la nuit, dormant à côté de lui, et je me suis occupé de sa toilette le matin et le soir. Un incident parmi d'autres: je venais de le doucher et il s'était conchié juste après. Il ne pouvait plus parler, mais son visage exprimait tout son embarras. J'ai ri et déclaré: "On est vraiment dans la merde!" Un langage que nous ne tenions pas habituellement. Il a éclaté de rire lui aussi.

Ainsi devient-on, le temps d'une douche, le père de son père... En rattrapant le temps qui avait été perdu à ne pas se connaître intimement. Pour moi, c'était l'occasion de contempler avec respect le corps qui me serait donné, si je vivais jusqu'à son âge.

Ulysse

3 commentaires:

  1. Deux réactions. Enfant, si j'avais pu faire du sport avec mon père, nous aurions été moins étrangers l'un à l'autre. Je sais aussi que la première fois, d'être nu à côté de lui au vestiaire, et au milieu d'autres hommes, j'aurais été terriblement gêné. L'école de recrues m'a affranchi.

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  2. La nudité au milieu d'autres garçons quand j'étais adolescent, puis d'hommes, m'a appris (sport, armée) à laisser tomber les jugements qu'on porte automatiquement sur autrui. Nous sommes tous faits pareils et pourtant tellement dissemblables. Chacun a des défauts, chacun des qualités, heureusement pas les mêmes. C'est comme ça que je me suis fait des copains et des amoureuses une fois que j'ai accepté mes défauts corporels et de caractère.

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