vendredi 30 juillet 2010
Des crapauds, le cul entre deux chaises
L'été, saison des rencontres plus faciles. Rêve ou réalité? On s'installe à une terrasse sous l'ombre complice d'un parasol. On patiente, le regard protégé par des lunettes teintées. On occupe un emplacement idéal, une table, deux à trois chaises. Le mec bien de sa personne, charmant, demandera si on attend quelqu'un, et s'installera d'abord sur la chaise la plus éloignée... Merde! "C'est libre?" Un couple de vieux réquisitionne les deux chaises. Encore une soirée de foutue.
À l'ère du speed dating (quinze minutes pour choisir l'amour de sa vie) il faudrait suivre un cours de voyance avant de "sortir", comme on dit "Je sors en boîte", "Je vois quelqu'un" ou "Je sors avec Jean-Paul depuis trois semaines" ce qui signifie: nous rentrons ensemble... La peur de rester sur le carreau, la peur de perdre son temps. Il faut qu'elle/il semble immédiatement correspondre à mes critères pour que je daigne lui adresser une parole aimable... Nous avons oublié que certains crapauds, si on se donne la peine de les écouter (éventuellement de les embrasser), se transforment en prince. Prince de ceci, prince de cela. Certains sont faits d'un matériau d'ami marrant, de conseiller (par ex. imbattable sur les voyages, ce qui peut être fort utile); d'autres sont tissés d'une fibre d'amant, voire de mari...
Dans les lieux où se retrouvent des hommes entre eux (pas pour le foot) -- certaines plages l'été --, la compagnie se partage entre princes et crapauds. Les princes sont à l'aise dans leur peau et leurs amours. Les crapauds non (et on a beau les embrasser...). Les crapauds cherchent un service minimum, du speed fucking -- une pipe ou une baise express. Ils passent entre cinq et sept, à la sortie du boulot, fébriles car bobonne les attend pour le repas. Ils se trimballent un besoin qu'elle ne peut satisfaire. La crainte d'être reconnus ajoute une couche à leur excitation... Le camps de la "normalité" et celui des princes les méprisent.
Le cul de ces crapauds-là est posé entre deux chaises, au sens littéral et au figuré. J'ai envie de leur dire: la vie est trop courte pour la gâcher à ce point. Et leur vie, s'ils n'y mettent ordre, sera brève en effet.
Ulysse
mercredi 28 juillet 2010
Au sujet des femmes, des hommes et de la méritocratie
"Vieillir vaut quand même mieux que de mourir." George Clooney.
"Un des problèmes avec la méritocratie c'est qu'elle produit un mélange uniforme, soi-disant au nom de la diversité. Elle prélève les meilleurs éléments de chaque race, classe et population pour les formater dans ses universités. Lorsqu'ils en sortent, ils forment une classe dirigeante compacte, apparemment bariolée mais fondamentalement conformiste. Ils se regroupent au lieu de se disperser à travers le pays pour l'enrichir de leur diversité. Christopher Lasch le déplore dans The Revolt of the Elites. Il écrit que la méritocratie attire à elle des gens qui devraient normalement devenir ses critiques. Elle prive ainsi les communautés locales de leur vitalité intellectuelle, les empêchant de former des cercles de réflexion antagoniques." Ross Douthat, The Trouble with Meritocracy, The New York Times, 19 juillet 2010.
"Le mariage représente pour l'homme l'équilibre entre le papa et le violeur: l'appropriation privée légalisée par laquelle il prend possession d'une femme pour son usage multiple et quotidien. A travers cette acquisition, il s'assure une utilisation variée et à peu près sans limites de son épouse. Celle-ci va en effet pourvoir, tout à la fois et sans répit, à son entretien, celui de sa famille et de ses biens; à la production et à l'élevage de ses enfants; à la satisfaction de ses besoins sexuels; et elle sert même aussi, parfois, de symbole de sa réussite." Emmanuel Reynaud, La Sainte virilité, 1981.
Ovomaltine, what else!
"Vous dites que la société doit intégrer les homosexuels, moi je dis que les homosexuels doivent désintégrer la société." Françoise d'Eaubonne (1920-2005), femme de Lettres française, deux enfants, cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (vers 1970) et du Front homosexuel d'action révolutionnaire (1971); fondatrice d'Écologie-Féminisme (1978).Monique Wittig.
"Un homme sur deux est une femme." Monique Wittig (1935-2003), romancière française, théoricienne du genre et "lesbienne radicale". "La femme n'a de sens que dans les systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels. Les lesbiennes ne sont pas des femmes."
"J'ai épousé les hommes que j'aurais voulu être." Angelina Jolie, actrice, fille de Jon Voight, mère de six enfants. Elle a refusé de jouer une James Bond girl. "En revanche, j'aimerais bien incarner Bond lui-même".
Citations recueillies par Ulysse
dimanche 25 juillet 2010
Comment entrer en amitié avec un arbre
Certains arbres se laissent mieux prendre dans les bras que d'autres. Ce n'est pas une question d'espèce, mais d'individu. Un arbre peut avoir connu de mauvaises expériences avec les humains ou les éléments. Il faut un peu d'habitude et d'écoute sensible pour percevoir s'il est ouvert au contact, ou non. Prenez un moment, lors d'une promenade en forêt, dans un verger ou un parc, pour enlacer un arbre. Écoutez-le, sentez ce qu'il vous donne, ce dont il a besoin. Un quart d'heure suffira, une demi-heure vous apportera des cadeaux supplémentaires et, peut-être aussi une émotion profonde.
Marche à suivre:
-- trouvez un endroit tranquille, à l'abri des regards;
-- caressez plusieurs types d'écorces avec la paume de vos mains, sentez l'odeur de différentes essences feuillues et résineuses; absorbez leur énergie en regardant vers le sommet de l'arbre;
-- avec un peu d'exercice, votre perception s'affermira et vous trouverez le spécimen qui correspond à votre humeur;
-- ce ne sera pas toujours le même; mais certains arbres deviendront un ami -- ou une amie si vous percevez cet individu comme féminin. Donnez-leur un nom.
On peut enlacer un arbre de plusieurs manières:
-- l'encercler de ses bras et poser la joue contre le tronc; le serrer bien fort et respirer profondément pour ne faire qu'un avec lui;
-- s'asseoir au sol, passer les jambes autour de sa base et le tenir en même temps dans ses bras;
-- grimper, s'installer à califourchon sur une branche solide, se pencher en avant jusqu'à ce que le ventre touche la branche; et l'enlacer.
Parfois, on ressent le besoin de passer d'un tronc à un autre. Mais on a ses amis préférés auxquels on rend visite à chaque saison. Les arbres aiment qu'on leur parle. Ils savent écouter. En période de crise, on peut leur confier nos difficultés. Les énoncer de vive voix permet de mieux les formuler; il faut pour cela respirer comme un arbre tire sa sève: depuis les racines jusqu'aux feuilles les plus hautes.
Crier son malaise -- ou son bonheur -- en appuyant le ventre et la joue contre le tronc apporte un vrai soulagement; l'énergie exhalée nous revient purifiée, décuplée par le truchement de l'arbre et de la nature environnante.
Enlacer notre arbre préféré nous apprend aussi à enrichir nos amitiés avec les humains. Comment? Mystère!
Ulysse
vendredi 23 juillet 2010
Peu de lard, beaucoup de couenne
"J'envoie des Chesterfields à tous mes amis. C'est le Noël le plus joyeux qu'un fumeur puisse souhaiter -- la douceur de la Chesterfield, sans arrière-goût."
Ronald Reagan, maître nageur, acteur, gouverneur, puis 40e président des États-Unis.
Joyeux Noël!
"Beaucoup de clôtures et peu de jardins, peu de lard et beaucoup de couenne."Rolf Büttiker, conseiller soleurois aux États (Parti libéral-radical), caractérise ainsi son canton (dans Coopération, cette semaine). Je trouve cette définition injuste envers Soleure; mais elle s'applique bien à la Suisse en général et à la majorité du corps politique.
"Si je représente une menace pour votre mariage hétérosexuel, c'est que vous n'êtes probablement pas hétérosexuel."
Jay Lassiter, 37 ans, "activiste des nouveaux médias" américains.
Jay Lassiter.
"On peut être amoureux d'un homme sans ressentir la moindre attirance sexuelle pour lui. Si j'étais homosexuel, je tomberais amoureux de John Waters en moins d'une seconde. Il est l'homme le plus drôle, le plus charmant, le plus intelligent que je connaisse."
Johnny Depp, acteur américain, cité dans Le Petit Livre rose. Depp ne peut pas mieux prouver son hétérosexualité: regardez Waters.
John Waters, réalisateur de Pink Flamingos,
Female Trouble, Hairspray entre autres.
"Je pense que la société continue à fonctionner grâce à nos plus mauvais côtés."Female Trouble, Hairspray entre autres.
John Waters, brillant réalisateur de films complètement barrés, parfois hilarants.
Citations recueillies par Ulysse.
mercredi 21 juillet 2010
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais
Oh! Je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis.
En ce temps-là la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui [...]
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais.
C'est une chanson qui nous ressemble
Toi, tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
Les feuilles mortes (fragments).
Paroles de Jacques Prévert,
musique de Joseph Kosma.
Photos via Balcon6.
dimanche 18 juillet 2010
Protégez-vous: que ce soit pour défiler à Varsovie ou pour baiser
L'EuroPride, la marche LGBT supranationale (l'an dernier à Zurich) s'est déroulée hier pour la première fois en Europe de l'Est. Varsovie l'accueillait, 2000 policiers la protégeaient, et des manifestants cathos priaient pour l'âme des quelque 8'000 participants polonais et supporters venus de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de Scandinavie. Parmi les houligans qui jetaient des bibles, des cailloux et des oeufs sur le cortège, les forces de l'ordre en ont arrêté huit. Un policier et plusieurs participants ont été blessés.
Francfort: "Sur la terre comme au ciel".
Des marches en souvenir du mythique Chistopher Street Day avaient également lieu à Francfort (Main) et à Munich. Les thèmes abordés à Francfort concernaient l'hostilité renouvelée de l'Église catholique envers les LGBT (comme si cela lui permettait de cacher la merde au chat) et la critique du gouvernement Merkel. A Munich, devant les dizaines de milliers de participants et de visiteurs -- trente ans après le premier défilé qui avait rassemblé cent personnes -- les pédés seniors n'en revenaient pas des progrès accomplis en faveur de l'égalité des droits. Comme eux, j'ai les larmes aux yeux.
Hier soir, pour attiser ma haine des Autrichiens (un sentiment que la Suisse dans sa majorité partage avec l'Allemagne), j'ai regardé la retransmission du Life Ball qui se tenait devant l'Hôtel de Ville de Vienne. Tapis rouge plus long que ceux de Cannes et Hollywood appondus; bal des débutantes; spectacle wagnérien avec danse de la mort, chanteurs d'opéra et Whoopi Goldberg en épouvantail; enfants musiciens; séquence tyrolienne; ballets; défilé de mode et de voitures; vedettes flétries, dont Bill Clinton et Boris Becker. Tout cela au profit de la lutte contre le sida! L'orage, envoyé par le dieu de la lutte contre le kitsch et les galas de bienfaisance, a interrompu la manifestation. J'en ai retrouvé la foi...
Après, on continuera à l'utiliser
pour éviter les autres MST. Photo ragingstallion.com.
Ce soir à Vienne s'ouvre la 18e conférence internationale sur le sida; 20'000 personnes y participeront avec un peu plus d'optimisme puisque la recherche semble se diriger sur des pistes prometteuses. Un chiffre: en 27 ans de statistiques, le sida aurait tué plus de 25 millions de femmes et d'hommes et d'enfants. N'oublions pas leurs survivants. La majorité des personnes atteintes étaient dans la classe d'âge des 15 à 40 ans, celle qui ne s'attendait pas à mourir, qui n'y était pas préparée; celle qui laisse des jeunes conjoints sur le pavé et des orphelins en début de vie.pour éviter les autres MST. Photo ragingstallion.com.
Ulysse
vendredi 16 juillet 2010
De Tom Ford à Kim Ki-duk
"Un hétéro ne veut pas baiser les partenaires de sa femme; il veut les tuer. Alors qu'un pédé veut coucher avec les types avec lesquels son amant le trompe. Pour vérifier s'ils sont à la hauteur."
Edmund White, romancier (City Boy, Plon 2010), biographe (Jean Genet, Marcel Proust) et critique littéraire.
Locataires, film de Kim Ki-duk.
"Un être humain devrait savoir changer une couche, préparer une invasion, dépecer un cochon, piloter un navire, concevoir un bâtiment, composer un sonnet, préparer un bilan comptable, monter un mur, réduire une fracture, réconforter un mourant, prendre une commande, donner des ordres, collaborer, agir seul, résoudre des équations, analyser un problème nouveau, répandre du fumier, programmer un ordinateur, cuisiner un repas savoureux, se battre avec succès, mourir bravement.La spécialisation, c'est bon pour les insectes."
Robert Heinlein (1907-1988), économiste et auteur de Science Fiction, connu pour l'adage There Ain't No Such Thing As A Free Lunch (Un repas gratuit, ça n'existe pas).
"Je déteste définir mon travail par ma sexualité. Pourquoi ne pas dire que je suis un réalisateur qui aime tailler des pipes."
Tom Ford, réalisateur de A Single Man.
Tom Ford: "Êtes-vous heureux?"
Karl Lagerfeld: "Darling, je ne suis pas si ambitieux!"
"Nous sommes tous des maisons vides, attendant ardemment que quelqu'un vienne ouvrir la porte qui nous libère..."
Réflexion glanée dans Locataires, film mystérieux du Coréen Kim Ki-duk (Printemps, été, automne, hiver... et printemps) à (re)voir mercredi 21 à 22h35 sur Arte.
Citations recueillies par Ulysse
mercredi 14 juillet 2010
Armée US: des douches séparées pour les gay?
Durant sa campagne présidentielle, Bill Clinton avait promis que s'il était élu, il supprimerait l'interdiction faite aux gay et aux lesbiennes de servir dans l'armée américaine. Dès son installation à la Maison Blanche, il a découvert que l'opposition était très forte. Et c'est finalement le compromis de Don't Ask Don't Tell (DADT) qui a prévalu: l'armée ne vous demande pas quelle est votre orientation sexuelle et vous, soldat/e, serez renvoyé/e si vous vous trahissez par la parole ou les actes, y compris dans votre vie privée hors de la base militaire... Essayez, vous hétéro pur sucre, de ne jamais révéler votre orientation! Interdit de parler de votre fiancée, votre épouse, vos enfants, vos beaux-parents, la fille canon rencontrée hier soir. Interdit de regarder un porno avec les copains, de vous montrer avec un magazine plein de jolies filles, de vous faire surprendre en train de danser avec une copine ou de monter à l'étage en compagnie d'une laborieuse. Un camarade pourrait vous dénoncer. Vous seriez renvoyé de l'armée en perdant votre retraite et les autres avantages.
Toutes les armées du monde ont toujours disposé d'un important contingent d'homos et de lesbiennes, qu'elles l'acceptent ou non. En Europe occidentale, ce n'est plus un tabou. Certains pays accordent les mêmes avantages aux soldats pacsés et à leur conjoint qu'aux soldats mariés. Mais les États-Unis... Obama, lui aussi, a promis de régler le problème et il fait face à une opposition républicaine omniprésente qui se manifeste aussi sur ce sujet. Pour freiner l'évolution du dossier, le Pentagone vient de lancer un questionnaire distribué à 400'000 salariés de l'armée afin de connaître leur opinion au sujet de l'éventuelle suppression de DADT. Je l'ai lu en diagonale (103 questions). Le ton n'est pas neutre. C'est nous (les hétéros) contre eux. Comme si de respirer et de combattre à côté de ces créatures allait dévier le cours des événements, alors que la cohabitation existe partout. Dix questions concernent la vie en communauté. Du type: si vous devez utiliser une douche commune en présence d'une personne probablement gay, est-ce que cela vous est égal, est-ce que vous prendrez votre douche à un autre moment, est-ce que vous allez mettre les choses au point avec cette personne, ou en discuter avec votre aumônier, demander au chef s'il existe une autre possibilité? Etc.
Personne n'a demandé aux soldats blancs s'ils étaient d'accord que l'armée incorpore des Noirs quand la décisions a été prise. Ni si les mâles étaient favorable à l'incorporation de femmes, plus tard. J'espère que ces soldats américains trimballés d'une guerre à l'autre -- qu'ils perdent toutes depuis soixante ans -- seront aussi consultés sur l'ouverture d'un nouveau front, par exemple... l'Iran.
Près de 14'000 femmes et hommes ont été chassés de l'armée depuis DADT en 1993. Certains se battent pour que cesse cette discrimination (on va jusqu'à examiner le contenu de leurs courriels privés pour prouver leur homosexualité). Et lorsque cela sera accompli, ils livreront un nouveau combat pour obtenir les mêmes droits que les hommes et femmes mariés en faveurs de leur conjoint (notamment l'assurance maladie).
Ulysse
dimanche 11 juillet 2010
Lausanne, New York et Shanghaï la nuit
Vendredi soir, j'avais rendez-vous avec Iz et Do comme les jours précédents: au Festival de la Cité, jardin du Petit-Théâtre à l'ombre des rosiers. Iz est venue, Do s'est excusé. Un comédien a lu les textes d'artistes qui sont exposés au Musée de l'Art brut, un pianiste l'accompagnait en improvisant -- tous deux pudiques et puissants. Puis Iz et moi avons bu du rosé et mangé libanais. Le bruit de la foule couvrait les propos d'un voile de pudeur: nos amours, nos emmerdes, les chagrins... A minuit, dans un jardin secret, sous un cèdre presque millénaire qui en a entendu d'autres, nous avons assisté à la performance la plus lourdingue qui soit -- pourtant la concurrence est rude dans cette discipline...
J'ai accompagné Iz jusqu'à sa rue et retraversé la ville dans l'autre sens, à pied, prenant la mesure de la diversité qui la peuple. Dans ce quartier de l'ouest à un quart d'heure du centre, j'ai croisé surtout des Africains en groupes de deux et plus, certains m'interpellant: "Salut! ça va?". Et des couples dits mixtes -- une blanche, un noir -- alors que si nous tombions en amour, un musicien ghanéen et moi, nous ne formerions jamais un couple mixte... Au coeur de la ville, les groupes étaient plus mélangés: autant de femmes que d'hommes, autant de gens à l'accent vaudois ou alémanique que latin, ex-yougoslave, turc ou anglais. Tous jeunes.
Un samedi soir à New York, au début des années 1970. J'entre dans un établissement de bains et, avant d'atteindre les profondeurs, je remarque le panneau réglementaire: "Pas plus de 637 personnes en même temps dans ces lieux". Wouah! 637 gars avec la même idée en tête... Vers une heure du matin, une estrade est dressée dans la salle principale. Piano, micro et rangées de chaises pliantes. Le pianiste (tout habillé) et une jeune femme entrent en scène, entamant leur tour de chant par You're Not Alone -- ("Jef", en français). Applaudissement nourri: la chanteuse est émue: "Je fais partie du spectacle Jacques Brel is Alive and Well and Living in Paris. Lorsque j'ai signé pour le récital de cette nuit, j'ai imaginé que vous ne feriez pas attention à nous, comme dans un bar. Or je me trouve devant un auditoire chaleureux et nu, à part votre serviette blanche autour de la taille! Vous comprenez?" Au bord des larmes, elle enchaîne avec Carousel, ("La Valse à mille temps") et bien d'autres. Je sors vers quatre heures du matin, sur les rotules. Il neige, je hèle un taxi et renonce à la course parce que le chauffeur ne m'inspire pas confiance. Presque deux heures à pied jusqu'à l'hôtel en filant par des quartiers réputés dangereux. La neige et le vent me protègent...
Nuit d'été 1966 à Shanghaï. Nous sortons d'un spectacle d'acrobates -- tradition très ancienne, encore peu connue à l'extérieur du pays. Nous rentrons à pied à l'hôtel. Il fait passé 35 degrés. Les trottoirs sont tous occupés par des dormeurs qui ont sorti leur literie afin de profiter du moindre souffle d'air. Dans une dizaine de jours leur quiétude sera bouleversée par les Gardes rouges, ces jeunes chiens fous que Mao va lancer sur tout le pays... J'y repense en traversant ma ville placide où les thermomètres oscillent entre 24 et 26 degrés.
Ulysse
J'ai accompagné Iz jusqu'à sa rue et retraversé la ville dans l'autre sens, à pied, prenant la mesure de la diversité qui la peuple. Dans ce quartier de l'ouest à un quart d'heure du centre, j'ai croisé surtout des Africains en groupes de deux et plus, certains m'interpellant: "Salut! ça va?". Et des couples dits mixtes -- une blanche, un noir -- alors que si nous tombions en amour, un musicien ghanéen et moi, nous ne formerions jamais un couple mixte... Au coeur de la ville, les groupes étaient plus mélangés: autant de femmes que d'hommes, autant de gens à l'accent vaudois ou alémanique que latin, ex-yougoslave, turc ou anglais. Tous jeunes.
Un samedi soir à New York, au début des années 1970. J'entre dans un établissement de bains et, avant d'atteindre les profondeurs, je remarque le panneau réglementaire: "Pas plus de 637 personnes en même temps dans ces lieux". Wouah! 637 gars avec la même idée en tête... Vers une heure du matin, une estrade est dressée dans la salle principale. Piano, micro et rangées de chaises pliantes. Le pianiste (tout habillé) et une jeune femme entrent en scène, entamant leur tour de chant par You're Not Alone -- ("Jef", en français). Applaudissement nourri: la chanteuse est émue: "Je fais partie du spectacle Jacques Brel is Alive and Well and Living in Paris. Lorsque j'ai signé pour le récital de cette nuit, j'ai imaginé que vous ne feriez pas attention à nous, comme dans un bar. Or je me trouve devant un auditoire chaleureux et nu, à part votre serviette blanche autour de la taille! Vous comprenez?" Au bord des larmes, elle enchaîne avec Carousel, ("La Valse à mille temps") et bien d'autres. Je sors vers quatre heures du matin, sur les rotules. Il neige, je hèle un taxi et renonce à la course parce que le chauffeur ne m'inspire pas confiance. Presque deux heures à pied jusqu'à l'hôtel en filant par des quartiers réputés dangereux. La neige et le vent me protègent...
Nuit d'été 1966 à Shanghaï. Nous sortons d'un spectacle d'acrobates -- tradition très ancienne, encore peu connue à l'extérieur du pays. Nous rentrons à pied à l'hôtel. Il fait passé 35 degrés. Les trottoirs sont tous occupés par des dormeurs qui ont sorti leur literie afin de profiter du moindre souffle d'air. Dans une dizaine de jours leur quiétude sera bouleversée par les Gardes rouges, ces jeunes chiens fous que Mao va lancer sur tout le pays... J'y repense en traversant ma ville placide où les thermomètres oscillent entre 24 et 26 degrés.
Ulysse
vendredi 9 juillet 2010
Autoportrait de l'artiste, fasciné pas sa nudité
De la gauche il tient l'appareil qui capte son image en plongée, tandis que sa main droite contrôle la part de nudité qu'il va offrir en pâture à ses copines/copains et aux inconnus qui surfent sur l'internet. Par millions, les autoportraits de jeunes mecs et de moins jeunes circulent sur la toile sans que leurs auteurs soient forcément conscients de la portée planétaire et indélébile de leur acte.
La majorité de ces photos exhibent le phallus de l'auteur dans sa plus glorieuse dimension. C'est là qu'intervient la fascination. Vous scrutez le visage du sujet, son corps et l'engin. Dans Le Sexe et l'effroi (1994), Pascal Quignard explique que les anciens Romains traduisaient le mot grec de phallos (sexe dressé) par fascinus. Le terme latin de fascina a donné la fascine, le fagot; celui de fascinatio, l'action d'ensorceler et séduire ou le fait d'être hypnotisé, captivé; alors que le fascinum est un charme, un maléfice. Toutes ces bites exposées sur la toile peuvent exercer une fascination extrême, voire un envoûtement qui demande l'intervention d'un prêtre ou d'un psy pour s'en libérer. Habituellement, l'indigestion fait qu'on passe à autre chose.
Albrecht Dürer, 1503.
Se représenter avec tous les insignes de l'autorité est un moyen de s'affirmer pour les rois et les généraux. Se donner à voir dans le plus simple appareil est un besoin généralisé. Les mâles cèdent plus facilement à l'auto-proclamation. Les femmes préfèrent confier le soin de les mettre en valeur à un artiste, un photographe ou à un maquignon. Révéler, embellir, masquer en partie par pudeur ou pour titiller. Orgueil contre humilité -- tel que je me rêve versus tel que je suis.
Avant le numérique, il fallait passer par l'officine de votre magasin local pour faire développer vos photos les plus intimes... Puis de grands laboratoires éloignés ont apporté l'anonymat, en même temps que Polaroid permettait d'éviter cette filière. Auparavant, on posait dans l'atelier d'un peintre spécialisé et on cachait l'oeuvre derrière un rideau amovible. Parmi les grands, Albrecht Dürer a été l'un des premiers artistes à se représenter nu. Plus proche de nous, Egon Schiele a payé cher son auscultation fascinée des chairs amoureuses et angoissées, dont la sienne. Il avait 22 ans, en 1912, lorsqu'il a passé quelques semaines en prison à cause de ses dessins érotiques. Certains tableaux le représentent brandissant son sexe, rouge à force de friction.
Egon Schiele, 1918.
Ulyssemercredi 7 juillet 2010
Un mariage annoncé, la chapelle Sixtine et l'enfer
"Sacré anti-Pinocchio, va. Le petit nez d'Albert, c'est peut-être la seule chose qui ne mente pas, ou en tout cas qui ait l'air sincère, sur cette photo. [...] Plus le temps passe, et plus Charlene, sur les photos, durcit son regard en s'efforçant de ressembler à la mère d'Albert [...] Il n'y a que ses épaules, de dos, qui trahissent encore son passé de nageuse d'élite. Tiens, c'est marrant, Charlene photographiée de dos, on dirait Stéphanie [...] Je résume. Albert de Monaco [52 ans] s'apprête à épouser une femme qui pourrait être sa fille [32 ans]. Qui ressemble à sa soeur. Et qui singe sa mère."
Stéphane Bonvin, journaliste au Temps.
"Enfin fiancés", selon Point de Vue.
"Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d'entre nous regardent les étoiles."
Oscar Wilde, écrivain irlandais, mort à Paris.
"Il y a tellement de pédés qui ne pensent qu'à leur gonflette ou à leur carton pour les ventes privées de Lanvin. S'il y en a quelques-uns qui lisent, Dieu merci! Vous savez, les homos ont aussi le droit d'être intelligents!"
Charles Dantzig, auteur de La Diva aux longs cils (Grasset).
"On ne peut pas prévoir les réactions du public. Croyez-moi, je n'obligerai personne à rester pendant une représentation s'il ne peut le supporter. J'estime juste qu'on doit nous respecter, mais on a tout à fait le droit de ne pas nous accepter."
Vanessa van Durme, actrice transsexuelle, à voir ce prochain week-end au Festival d'Avignon.
"Si Michel-Ange avait été hétérosexuel, la chapelle Sixtine aurait été recouverte de papier peint."
Robin Tyler, comique canadienne et lesbienne activiste (citée dans Le Petit Livre rose).
"La pudeur est née avec
l'invention du vêtement." Mark Twain.
"J'espère sincèrement que Dieu sait pardonner comme les chrétiens le promettent, car je vais tester ses limites les plus extrêmes."l'invention du vêtement." Mark Twain.
Tucker Max, auteur de I Hope They Serve Beer in Hell (J'espère qu'ils servent de la bière en enfer).
Citations recueillies par Ulysse.
lundi 5 juillet 2010
Les Services secrets suisses, c'est Dupond et Dupont
La gabegie des services secrets suisses est une fois encore critiquée. Deux souvenirs me reviennent à la mémoire... Novembre 1964 (Nikita Khrouchtchev vient d'être éjecté du pouvoir): je me rends en Union soviétique par curiosité. Le voyage organisé (non politique) est avantageux. Train jusqu'à Vienne, avion jusqu'à Kiev. Visites sans intérêt si ce n'est pour prendre la mesure de la désolation. Puis Moscou: Même constat, mais places assises pour assister au défilé militaire de la fête de la Révolution d'Octobre. A l'hôtel, chambre à trois que je partage avec des inconnus qui, cela tombe bien, sont amants. Hors des visites guidées, je me rends le samedi après-midi aux bains publics -- au hammam. L'établissement se trouve dans un ancien palais. A la caisse, on achète un petit morceau de savon gris et des branches de bouleau dont les feuilles ont séché. Longue queue d'attente dans l'escalier. L'occasion de dévisager et sentir les "camarades" de près. C'est leur décrassage hebdomadaire.
Hammam russe
au début du siècle dernier.
Au vestiaire, on pend ses vêtements à un clou, le bout de drap qui servira à se sécher aussi. Puis tout se déroule à poil dans une complicité physique chaleureuse. On se savonne et se frotte mutuellement. On joue à la pyramide humaine dans le bassin d'eau tiède, trois hauteurs de mecs qui grimpent les uns sur les autres et s'écroulent en tas quand l'acrobate qui voulait se hisser sur les épaules du troisième étage perd l'équilibre. A la sortie, des types m'embrigadent pour faire la bringue dans un restaurant flottant. Saumon fumé et champagne aux frais du p'tit Suisse. Accordéon, chansons de plus en plus avinées. Un poète soûl récite du Pasternak (interdit) à haute voie. Sifflements de la police: les flics vident l'établissement (heure de fermeture) et s'assurent que chaque soûlon sera bien ramené à domicile par un camarade. Il a neigé, il gèle, c'est deux heures du matin.
Retour en Suisse. Train de nuit Vienne-Bâle. Douaniers, police: "D'où venez-vous?" Moi: "De Vienne". Les autres voyageurs du groupe, très fiers: "De Moscou". Tous leurs passeports sont ramassés et redistribués vingt minutes plus tard. Le temps de les ficher... Jeune stagiaire journaliste (plus de lait que de sperme derrière les oreilles), je publie une enquête sur les travailleurs espagnols en Suisse, tuyauté pas un avocat réfugié du régime franquiste. Ces gens sont surveillés par trois filières: 1) le gouvernement de Franco, 2) leur syndicat national, 3) leur ambassade à Berne. Plusieurs lettres de dénégation arrivent à la rédaction. Celle de l'ambassade et celle d'un médecin lausannois qui a épousé une Espagnole sont identiques... Deux fonctionnaires des services secrets suisses (très Dupond et Dupont) me rencontrent dans un bistrot et me proposent de travailler pour eux. Autour d'une tasse de thé (budget serré), ils me demandent pour commencer de leur procurer les brochures en espagnol qui se trouvent à disposition dans la librairie d'à côté! J'en parle à mon rédacteur en chef qui m'explique ce que signifie l'indépendance de la presse, notion encore vivante à l'époque...
Ulysse
samedi 3 juillet 2010
David Beckham, Robbie Williams et d'autres ont dit...
David Beckham.
"À l'âge de six ans, j'ai été désigné pour être garçon d'honneur. J'avais le choix entre deux costumes, un smoking classique ou un ensemble ivoire constitué d'une culotte courte, de chaussettes montantes et d'une chemise à jabot. Devinez ce que j'ai choisi!"David Beckham, footballeur britannique.
"La première fois que j'ai rencontré David Beckham, je ne savais pas si je devais lui serrer la main ou lui lécher le visage."
Robbie Williams, chanteur britannique pop et engagé.
Robbie Williams.
"La métrosexualité de Beckham a besoin d'homophobie pour fonctionner: il reçoit célébrité et argent en se comportant comme un gay. Or, si être gay n'était pas aussi choquant dans le foot moderne, Beckham ne serait pas aussi célèbre."
Mark Simpson, journaliste britannique inventeur du terme "métrosexuel".
"Pour plaire au plus grand nombre, il faut être sans odeur, sans poils: c'est le Neverland de Michael Jackson. C'est Beckham et sa tête de "tarlouze"... Je me demande d'ailleurs comment il fait jouir sa femme."
Jean-Louis Murat, auteur-compositeur-interprète auvergnat. [Les photos, me semble-t-il, répondent à sa question.]
"Les hommes ne devraient pas se sentir pédés simplement parce qu'ils veulent avoir un beau corps."
Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie.
"Si vous êtes un aventurier du sexe, je ne crois pas que l'hétérosexualité vous empêche d'essayer tout ce qui existe."
Hugh Hefner, fondateur du magazine Playboy.
Citations choisies par Ulysse dans Le Petit Livre rose, anthologie (Nova).
jeudi 1 juillet 2010
Les couturiers, ces enculés
Une création élisabéthaine de l'Allemand
Bernhard Willhelm.
Qui est-ce qui est plus crétin encore qu'un journaliste sportif? Un chroniqueur de mode masculine. Aujourd'hui je lis dans mon quotidien: "La leçon à tirer de Lanvin, c'est que la mode masculine, après une décennie passée à ressusciter le costume masculin dans toute sa légitimité héréditaire, désormais, le déconstruit, le détourne, le bouscule, le désosse, le dénature en mêlant son sang bleu à celui de panoplies plus roturières."Bernhard Willhelm.
Le hardeur François Sagat
en mannequin de Bernard Willhelm.
Depuis passé cinquante ans j'attends la révolution de l'habit masculin. J'attends pour faciliter ma vie quotidienne ce que les techniciens du vêtement de sport ont réalisé dans leur domaine. Avec de nouveaux tissus et de nouvelles coupes qui tiennent compte de l'architecture de notre corps, de nos mouvements, du frottement, de notre sueur, du chaud et du froid extérieurs, et qui permettent d'envoyer le fer à repasser au recyclage des métaux. Mais à quoi pensent les tailleurs et les couturiers? Ils continuent à revisiter les modes passées et se branler sur des détails au lieu d'empoigner le problème en ingénieurs et en architectes -- en mecs, quoi! Que font-ils pour nous protéger du rayonnement solaire, pour faciliter la sudation, éviter le froissement et la saleté, abréger le passage aux WC? Les fibres existent. Ils ne les testent pas, ils restent figés sur leur antique profession... La seule évolution notable c'est l'adoption à peu près universelle du jean. Mais on la doit aux confectionneurs, les couturiers n'y ont rien ajouté si ce n'est quelques petites afféteries. Tout l'inconfort de vos vêtements, messieurs, vous le devez à cette bande de chochottes châtrées, de paresseux sans vision... On devrait refuser de les enculer.
La jupe-culotte de Prada
pour l'an prochain (via The Sartorialist).
Ulyssepour l'an prochain (via The Sartorialist).