Mon plus ancien souvenir de Noël: le sapin touchait au plafond et j'étais tout petit. Sa seule décoration: des bougies blanches; pas de crèche à son pied, juste quelques cadeaux. En grandissant, j'ai découvert que d'autres familles chargeaient leur arbre de boules, guirlandes et bougies multicolores, comme dans les magasins, et le dressait au milieu du salon. Le nôtre ne se trouvait pas dans l'appartement, mais dans l'atelier de peinture de notre mère, là même ou j'écris ce texte. Je vois diverses raisons aux Noëls déstructurés de notre enfance. Question de foi chrétienne: il ne fallait pas mêler la tradition nordique de la fête de la lumière à la naissance du Sauveur. Ensuite, peut-être qu'on plaçait le sapin à distance par déférence envers notre père, qui avait perdu une fille et un fils -- leur mère les avait gazés en se suicidant. Les fêtes de famille devaient être particulièrement pénibles pour lui. Nous, les enfants du second lit, nous l'ignorions.
Après un premier homme-passion que j'ai quitté parce que je ne voulais pas le partager avec sa seconde épouse (décidément...), j'ai rencontré Noël (son deuxième prénom, parce qu'il était né cette nuit-là) et me suis embarqué dans une histoire passionnelle avec lui. Il ressemblait au jeune homme ci-contre, en plus futé et avait 21 ans, moi 34. D'un intellect brillant et d'un caractère pas facile -- alors que j'étais plus arrangeant, intuitif et brouillon (ce qu'il faut pour faire un journaliste passable) -- Noël préparait sa thèse tout en passant une deuxième licence et en exerçant le métier d'assistant à l'uni. Notre histoire a duré deux fois sept ans. Sept ans de partage à tous les étages, puis sept ans de fraternité lorsqu'il m'a quitté pour vivre avec Nurettin, un gars de son âge. Les éléments les plus étranges, dans cette histoire, c'est que: 1) les deux mecs ont trouvé un appartement à quatre minutes de chez moi, 2) la relation entre Noël et moi s'est poursuivie, sur le plan fraternel, et qu'à cette fraternité s'est joint le nouvel arrivé, Nurettin, 3) que ces deux-là qui composaient ma famille de coeur sont morts à moins de 24 heures de distance l'un de l'autre -- Noël passé à tabac de façon si violente qu'il a trépassé deux jours plus tard, et Nurettin terrassé par le sida. J'étais près d'eux pour recueillir leur dernier souffle. C'était en 1985.
C'est ainsi qu'un fils -- moi -- a rejoint le sort de son père, même si son destin d'homme gay semblait lui promettre un avenir opposé.
André
C'est presque étrange. Je lis en ce moment "La vie mode d'emploi" de Georges Perec, qui est entre autre constitué d'une multitude de petites histoires / anecdotes à la fois plausibles et peu probables (par exemple, un trapéziste qui ne vit que sur son trapèze et qui finit par se suicider pour ne pas qu'on l'oblige à en redescendre) ; et quand j'ai lu votre histoire, pour le coup réelle et triste, et qui relève quand même d'une coïncidence relativement étonnante, je me suis dit qu'elle aurait peut-être eue sa place dans l'oeuvre de Perec. Parce qu'au final, dans la centaine de pages que j'ai déjà lu, toutes les dites petites histoires finissent en drame, ont à la fois un côté positif (la vie que les protagonistes ont mené) et négatif (comment ils meurent)... et Perec, par son style et son humour, a plutôt tendance à dissimuler la tristesse que ses petites histoires pourraient provoquer, sans doute parce que ce n'est ce qu'il recherche... lire votre histoire, qui est tout simplement touchante, me fait presque réaliser cette tristesse inhérente aux anecdotes racontées par Perec, et qu'il parvient à nous faire "oublier". Je ne sais pas quoi en penser, au final... Mais alors que j'avais adoré l'histoire de l'archéologue qui passe cinq ans de sa vie à chercher la cité de Lebtit en Espagne et finit par se suicider sur un échec, je la trouve tout d'un coup... terrible.
RépondreSupprimerAprès lecture de ce post, je me pose sincèrement la question: pourquoi l'auteur a-t-il besoin de raconter son histoire? Est-ce que c'est bénéfique ou malsain? Souvent des inconnus vous confient leurs petites misères, et puis s'en vont. Mais ici il s'agit d'un secret de famille et de drames qu'on n'expose pas habituellement. Or j'ai lu quelque part que d'explorer ses blessures morales apporte une amélioration de la santé physique et mentale. Mais je n'arrive pas à y croire. Est-ce vraiment possible?
RépondreSupprimerRécit très touchant pour ma part.
RépondreSupprimerLa motivation pour écrire des récits de ce genre est la même que celle qui pousse a ouvrir un blog je pense : s'ouvrir au monde, partager quelque chose avec quelqu'un, c'est aussi le propre de la vie.
Après tout, pourquoi certaines choses devraient être dites et d'autres non ?
Tout cela fait partie de la vie, il n'y aucune raison de dissimuler quoi que ce soit.
Le fait de ne plus avoir de secrets pour autrui permet vraiment de se sentir bien. Ainsi, on n'a plus de raison de se protéger et on y gagne en sérénité dans un sentiment d'accomplissement.
La vie, c'est le mouvement. L'immobilisme, c'est la mort.
Passez de bonnes fêtes André...
Merci de vos voeux, Damstounet! A mon tour de vous dire que vos commentaires sont appréciés. Ils apportent de la vie, corrigent et prolongent la réflexion. Sachez que les statistiques actuelles de ce blogue recensent plus de 15'500 pages vues par mois; j'en déduis que de nombreux lecteurs sont curieux de lire les commentaires.
RépondreSupprimerJe vous souhaite une année pleine de découvertes!
oui, damstounet !tu dis qu'il n'y a aucune raison de dissimuler quoi que se soit ! tu es venu en vacances chez moi,mais se connaitre vraiment et parler de sa vie,n'est pas si facile, je n'ai jamais dis à personne, et surtout pas à mes parents très agés les quatre secrets de ma vie,qui n'a pas été un long fleuve tranquile ! j'ai commencé d'écrire un livre, pour mes fils, c'est dur,mais j'essai de tout dire !!!
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