dimanche 31 janvier 2010

Les vieux salopards se font Vientiane


C
onfiez un fusil d'assaut à un jeune homme bien élevé, expliquez-lui les subtilités de son fonctionnement,
inculquez-lui la discipline et vous en faites un tueur. Mettez un appareil photographique dans les mains d'un schnock (jeune ou vieux) de bonne famille, donnez-lui l'instruction technique de base et envoyez-le sur les chemins du monde: vous avez créé un goujat de plus. Un néo-colonialiste qui se promène en pays conquis, oubliant tous les usages du savoir-vivre -- d'autant plus s'il se déplace en groupe.
Photo: Jean-Louis Grognet.
Nous sommes à Vientiane,
capitale de la République démocratique populaire lao. Les vieux salopards dont je fais partie se sont tapé quelques monuments religieux et beaucoup d'explications. Puis le Patuxai, arc de triomphe érigé dans les années 1960 avec du ciment fourni par les Américains pour la construction d'un nouvel aéroport, d'où son surnom de "piste verticale". C'est vendredi en fin d'après-midi et le guide lâche sa troupe dûment déchaussée dans un petit temple très fréquenté. Des bouddhas, des offrandes de fleurs, de nourriture, d'encens; un constant va-et-vient de femmes, hommes et enfants entrant et sortant, agenouillés, assis autour d'un moine qui lie un fil de coton à leur poignet en prononçant un voeu? une bénédiction? Je m'assois en retrait contre un pilier, je hume, j'écoute, j'observe dans la discrétion. Question de respect et d'habitude professionnelle.
Photo: Jens Holst.
Les touristes s'égaillent dans l'édifice, braquant leurs appareils à bout portant sur les fidèles prosternés, mitraillant au flash, commentant à haute voix, montrant du doigt, riant de plaisanteries éculées. Cela leur rappelle tant de choses qu'ils ont vues ailleurs... Pourtant, s'ils s'installaient dans l'humeur du lieu, prenaient le temps de se faire accepter avant de presser sur le déclencheur, s'ils se mettaient à niveau (toutes leurs prises sont cadrées de la même hauteur, même celles des enfants) et à distance respectueuse, quel plaisir ils auraient plus tard en contemplant leurs photos, ces madeleines de Proust!

Quiconque se déplace en Asie via Mumbai, Bangkok ou Shanghai, comprend que la "domination" de l'Occident est terminée. Au tour des Chinois de débouler dans les cathédrales occidentales durant l'office, à cheval ou à skis pour la couleur locale, et de filmer les indigènes tout en enregistrant le commentaire de la guide pour accompagner les images de ce qu'ils n'ont pas regardé. Fermera-t-on les portes durant le culte? Mauvais pour le tourisme devenu seul revenu de nos pauvres patries. Le curé demandera
la piécette pour ouvrir le rideau durant confesse. Le pasteur organisera des dégustations de sainte cène. "Vous demandez si c'est végétarien? Oui, tout à fait! C'est les papistes qui se font un scénario d'anthropophages. -- La différence entre les papistes et les parpaillots? A peu près du même ordre qu'entre le petit et le grand Véhicule des bouddhistes!"
Photo: Jens Holst.
A l'heure du dîner, nos touristes à Vientiane sont redevenus des êtres charmants. Les femmes parlent des écoles que fréquentent leurs petits-enfants, les hommes des vins de France.

Ulysse

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