dimanche 19 novembre 2023

Le cancer m'a plongé dans la bouse, maintenant il fertilise ma créativité





Ne tombez JAMAIS malade en été. J'ai commis cette erreur en juillet dernier. Mon médecin et ses collègues étaient en vacances et proposaient un rendez-vous dans un ou deux mois. À cause de mes fortes douleurs de la sphère anale l'internet a diagnostiqué des hémorroïdes [parfait pour un homo] et la pharmacienne m'a fourni de quoi tomber malade plusieurs fois. De retour, le toubib a examiné mon cul et m'a envoyé illico dans une clinique. J'ai attendu plus de deux heures debout à la réception. M'asseoir sur une chaise en bois était trop douloureux.

Dan Bachardy fait le portrait de son amant Christopher Isherwood.



Au centre: Dan Greisher a passé deux


mois chez Isherwood pour le soigner


jusqu'à sa mort d'un cancer de la prostate.






Chez l'oncologue, j'ai baissé mon slip plein de merde. Il m'a aidé à me nettoyer et m'a informé qu'il s'agissait probablement d'un cancer. Quelle probabilité ? 98% ! Quand on est bébé on fait caca dans le pot et l'on en est fier. À 87 ans, c'est différent... Ensuite j'ai été envoyé dans plusieurs cliniques. Je me suis habitué aux regards penchés sur mon cul et aux prises de sang inutiles. J'ai passé dans de nombreuses machines dont l'IRM, tunnel d'imagerie par résonance magnétique, qui m'a maintenu dans l'immobilité durant 45 minutes -- sans que l'opératrice m'en informe -- dans un boucan qui couvrirait des bruits de bombardement.


Conclusion: sept semaines de radiothérapies et chimiothérapie quotidiennes. Au contraire des entrevues sans bienveillance supportées durant les examens, le personnel de la clinique où je me suis rendu chaque jour était sympathique. Petit vieux de 87 ans, chancelant durant 40 minutes à pied entre la maison et l'appareil de traitement, j'ai éprouvé pour la première fois ce qu'est une asthénie durable. Tu plonges dans un tel état de fatigue que tu en perds le moindre appétit. Tu ne contrôles plus ton hygiène intime, le sang et la bouse souillent la serviette collée au fond de ton slip. Tu manques de sommeil réparateur; tu cherches tes mots et ne comprends presque rien au langage des médecins.




Tes lésions cancéreuses rendent le passage aux toilettes si douloureuses que tu pourrais hurler. C'est debout que tu consultes ton ordi et lis ton journal. La cause de ton cancer serait due à l'infection de papillomavirus que tu aurais contractée il y a une trentaine d'années, après l'irruption du sida, alors que tu avais cessé toute relation sexuelle lors de tes rencontres hasardeuses, même protégées. Oui, le papillomachintruc s'attrapait aussi lorsqu'au sauna, dans la vapeur et l'obscurité, un gars te fourrait son doigt dans le cul -- sans y avoir été invité -- un doigt qui avait déjà visité  plusieurs autres orifices. À cela, les médecins de l'époque n'y pensaient pas.






Aujourd'hui, lorsque je clopine dans la ville pour faire mes courses ou une promenade de santé, je regarde tous ces hommes qui marchent alertement sans imaginer qu'un jour ils pourraient souffrir énormément en remuant l'ensemble de muscles et d'organes qui occupent leur arrière-train. Une douleur que je n'ai pas connue durant 87 ans: quel privilège ! Et quel privilège aussi de vivre dans un pays où je peux boire l'eau du robinet, éclairer ma chambre en pressant sur un bouton, me nourrir et traverser la ville sans escalader des ruines ni des cadavres.


Autre sujet de gratitude: pouvoir accepter cette situation sans griefs, assuré que je vais continuer à rédiger les textes sur lesquels j'ai repris la rédaction depuis quelques jours. Je dois cette confiance à l'exemple de mon père dont la première épouse, en traitement pour une grave dépression, s'est suicidée au gaz dans sa cuisine, entraînant leurs deux enfants dans la mort. Je l'ai appris à l'âge de sept ans et papa ne m'en a plus jamais parlé. J'ai hérité une part de sa force morale qui m'a permis plus tard de surmonter le passage à tabac qu'a subi mon grand amour et la perte de celui que je considérais comme mon jeune frère, terrassé par le sida. Les deux ont été fauchés le même jour.



Picasso: autoportrait à 85 ans.

En plus d'une profession très exposée, je militais activement en faveur de l'égalité hétéros-homos. La situation était délicate. Est-ce que le VIH allait anéantir nos efforts? Dans la rue, des copains changeaient de trottoir pour ne pas être décelés en me saluant. Mais les autorités suisses ont pris le taureau par les cornes et soutenu notre cause de manière compétente. Cela m'a beaucoup encouragé dans ma démarche. À l'âge de 50 ans, j'ai perdu la majorité des amis et connaissances de ma génération. Et le nouveau grand chéri, plus jeune que moi, est mort d'un cancer des poumons peu de temps après notre premier baiser. Je suis apparemment seul, pourtant en contact avec de nombreux gars rencontrés ici-bas ou entre les deux mondes. La mort qui ne nous détruit pas nous construit. Merci Papa !

André


Avant le cancer, après 34 radiothérapies.










7 commentaires:

  1. Toute ma sympathie et ma compassion pour ce qui vient de t'arriver.
    En passant mercredi dernier chez mon fils je me suis enquis de savoir s'il avait fait vacciner ses enfants contre le papilloma virus. Oui répondit-il. Le garçon aussi ? Oui le garçon aussi.
    La science est une belle chose...
    De tout cœur avec toi...

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  2. Merci André de nous livrer ainsi ce qui fait ta force. À quel prix ? J’apprécie grandement tout ce que tu proposes pour rincer l’œil et nourrir l’esprit.

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  3. Bonjour André et grand merci pour ce merveilleux témoignage qui m'a transporté plus d'une quinzaine d'années en arrière lorsque mon compagnon est décédé.
    Merci pour ton courage, la force que tu retires de cette épreuve et que tu nous transmets.
    Merci pour tes partages également.
    Bon courage et à très vite de découvrir tes nouveaux billets.
    Amitiés

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  4. toute ma sympathie et mon soutien pour l'épreuve que vous venez de vivre. Votre façon d'y faire face peut servir d'exemple même si tout le monde n'a pas la capacité de faire aussi bien

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  5. Pour obtenir de la compassion, est-il indispensable de décrire par le menu des détails scatologiques ? Comme si le chroniqueur jouissait à l’exhibition de sa déchéance. Une tendance sado-masochiste qu’il décline à différents niveaux, en s’appropriant au sens propre les douleurs de ses compagnons et amis décédés dans la fleur de l’âge, alors qu’il a pu lui jouir de la vie bien au-delà de l’espérance suisse qui se situe à 81,6 ans.

    À différentes occasions, il évoque cet ami, décédé suite à un tabassage, alors qu’il l’accompagnait à une manifestation pour les droits des gays. Cet ami (un ancien amour éteint depuis longtemps) décédé un jour avant la mort de son compagnon victime du Sida. Ces deux-là s’aimaient tellement qu’ils ont « décidé » que l’un ne pourrait vivre sans l’autre. Laissant sans objet le dessein d’André de consoler et de récupérer cet ancien amour éploré …

    Quant à l’origine du cancer survenant chez un homme jusque-là en parfaite santé, cela n’a rien à voir avec les fariboles d’un médecin qui en connaît parfaitement la cause, mais qui en l’avouant risquerait de perdre en crédibilité...
    (Et une nouvelle occasion pour notre interlocuteur d’évoquer son obsession d’intromissions outrancières.)

    Depuis 2021, dans mon entourage, je n’entends parler que de cancer et de récidive de cancer. Tous ont été vaccinés … sans aucun doute une coïncidence … alors qu’aucun non-vacciné de ma connaissance n’a été ni plus ni moins malade …

    L’élégance, la finesse et le respect des lecteurs de cette chronique auraient consisté à supporter ce chemin de croix en silence. Ces trois qualités font-elles partie du vocabulaire de notre chroniqueur ? Égocentrique, scatologique et pornographique font assurément partie de ses déclinaisons.

    Il arrive un moment où l’on doit envisager sa propre fin et arrêter de s’apitoyer sur son sort et de chercher à se faire plaindre.

    Et de faire son introspection (sic) en évaluant la récolte qui a été semée …

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  6. Merci à Anonyme pour sa leçon de vie

    qui me permet ENFIN d'envisager la réalité de mon existence et de me taire au lieu de jouir de "l'exhibition de ma déchéance" tel qu'Anonyme l'a inventée.

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  7. Merci et bonne guérison; je passe un irm demain, je sais à quoi m'attendre..

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