À Playa del Inglés (Gran Canaria)
The Cellar est un établissement écolo où l'on économise la
lumière
. Bar à thème, il annonce
naked in the dark pour une soirée,
shoes only pour une autre -- ce qui revient au même puisque, au contraire des mosquées, seul le port des chaussures y est obligatoire. À l'entrée, le caissier en jockstrap récolte une obole de cinq €, boisson comprise. Dans le vestiaire exigu les mecs collés les uns aux autres se déchaussent, se désapent, se rechaussent, enfouissent pantalon et maillot dans un sac et le remettent au préposé en échange d'un bracelet et d'un bon.
Cinq euros, mon rhum-coca compris! J'envoie une pensée fraternelle à nos frères hétéros qui, en France vont être pénalisés pour une petite vidange en compagnie vénale. Nous, on est tout à la fois le client et l'ouvrier (personne n'est exploité), avec la possibilité de déguster avant de choisir, puis de savourer. Voire d'emporter en cas de convenance mutuelle.
La semaine dernière au Cellar je vois derrière des barreaux une alignée de poulets fermiers, plumés, accroupis, les croupions prêts à absorber la farce. Parmi les farceurs à l'oeuvre, un homme, soixantaine, amputé du bras gauche. Aux chiottes, assis dans le bassin-pissoir, un mec attend sa douche. Sans honte, il manifeste sa préférence. C'est cela la vraie transparence dont se gargarisent les politiciens qui se pensent au-dessus des lois. Lorsque je vais me rhabiller, je me trouve à côté du baiseur au bras unique. Je l'aide à enfiler pantalon et veste.
Puis je décide d'aller danser au
Na Und (Et Alors?) qui ressemble aux dancings de ma jeunesse où l'on valsait et fox-trottait en couples. La musique du Na Und, allemande et espagnole, date à peu près de cette époque et les vieux bougres qui s'en donnent à coeur joie retrouvent leurs élans de jeunesse. (Une époque où les soirées dansantes entre hommes étaient rares, sauf à Amsterdam. Une époque où, à la sortie de l'établissement, il fallait reprendre le masque...)
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Photo German Armenta. |
Le lendemain à l'hôtel, nous nous retrouvons côte-à-côte, l'amputé et moi, devant le buffet du petit-déj. Je me penche vers lui et lui demande si sa soirée au Cellar lui a plu. Il me regarde sans me reconnaître et déclare qu'il ne sait pas de quoi je parle. Je lui fais mon sourire cause-toujours... Il hésite: "Hier c'était hier, aujourd'hui c'est aujourd'hui, demain c'est demain." Puis se ravise et demande si cela m'a plu. Il me confond probablement avec l'un des poulets qu'il a enfilés. Pour abréger je réponds que si. Il rejoint une tablée de quatre ou cinq mecs gras et bavards qui racontent tout haut leurs exploits de la nuit... Pourquoi sa honte?
Au cours de ma méditation (d'apprenti médium), je pose la question à mes "guides". Je tire une carte divinatoire et la réponse y figure pile-poil. Le bonhomme ne s'est pas défait du réflexe de camouflage qui lui a sauvé la peau durant sa jeunesse... Je résume: "Votre guide vous encourage à examiner où et pourquoi vous êtes resté coincé dans ce scénario de méfiance qui n'a plus sa justification aujourd'hui. Arrêtez votre cinéma, mettez fin à vos frustrations inutiles et envisagez la vie d'un oeil nouveau. La meilleure manière d'y parvenir est d'y introduire une bonne dose d'humour. Et de vous dire: la situation est parfois critique, mais jamais sérieuse!"
André