mercredi 22 avril 2009

Les homos ne sont pas seuls au fond du placard



Dix ans avant le tournant du siècle, l'universitaire américaine Eve Kosofsky Sedgwick publie l'ouvrage qui fera date dans la perception que nous avons des sexualités et de nos identités. Elle s'est éteinte dimanche de Pâques, à l'âge de 58 ans, des suites d'un cancer du sein. Epistemology of the Closet, Épistémologie du Placard (1990 aux Etats-Unis, 2007 en français aux éditions Amsterdam) a lancé l'étude de la théorie queer aux côtés des travaux de Judith Butler, Teresa de Lauretis, Monique Wittig, Kate Bornstein et autres.

Le malheur pour nous profanes, c'est que les ouvrages de ces dames, et ceux des hommes qui sont ensuite montés dans le train, sont écrits dans un jargon difficilement compréhensible. [Épistémologie = étude critique de... Théorie queer = étude de la revendication identitaire des groupes minoritaires, les altersexuels, les tranpédésbisgouines.] Et peu de passeurs ont pris la relève pour nous traduire la quintessence de ces recherches remarquables. J'ai l'impression que nous autres hommes -- hétéros, bis, homos, etc. -- pourrions évoluer plus rapidement dans l'entente indispensable entre nous si on nous expliquait clairement les découvertes de la théorie queer.

Dans son parcours de recherches, Eve Sedgwick a d'abord étudié (Between Men, 1985) la relation unissa
nt deux hommes amoureux d'une même femme dans les romans de langue anglaise (Charles Dickens, Henry James). L'amitié et la rivalité entre ces hommes se fondait sur la double élimination de la féminité et de l'homosexualité (alors qu'ils éprouvaient des sentiments presque amoureux l'un envers l'autre). L'auteure relevait que le thème du désir homosexuel caché figurait dans de nombreux textes littéraires. [En tant que mâle gay, je perçois bien que ma peur du féminin est infime par rapport à la terreur (et l'envie) que ressentent de nombreux frères hétéros face à ce qu'ils appellent la passivité (la réceptivité) de la femme. Quant à l'homo satisfait et compétent dans les deux positions...]

Avec Épistémologie du placard, elle essayait de cerner les différentes manifestations du désir et la manièr
e dont la culture occidentale les définissait. C'était, disait-elle, le but des études queer. On ne peut pas comprendre les relations entre femmes et hommes si l'on n'a pas perçu ce qui se passe entre les personnes d'un même sexe, y compris la possibilité d'un lien physique. Il y a de multiples expressions au coeur des cultures et des sexualités; et les discours politiques, religieux, médicaux, psychologiques ou littéraires sont loin d'avoir épuisé le sujet.

A mi-chemin entre l'étude féministe et la perspective homosexuelle, Eve Sedgwick -- intellectuelle, militante et hétérosexuelle -- a toujours manifesté son amour des gay, particulièrement des hommes gay pour lesquels elle s'est engagée jusque dans le combat contre le sida. Elle avait découvert son cancer en 1991, avait gagné le premier round, puis perdu un sein dans le deuxième (1996). Dans son livre A Dialogue on Love (1999), elle décrivait comment elle envisageait sa mort, avait traversé la dépression et définissait son identité sexuelle après la mastectomie.

Ulysse

5 commentaires:

William G. a dit…

Eve avait dit que les modèles pour vivre avec son cancer lui venaient de la communauté gay. Merci d'honorer sa mémoire. Elle était une femme très précieuse pour nous.

Lol a dit…

Je pige que d'ail à ce sermon sur la bonne dame des cuirs.

Braza a dit…

Le jargon des théorichiens et -chiennes, c'est ce qui empêche le bon peuple d'accéder à la connaissance et d'en tirer éventuellement profit. Mais s'il avait l'éducation nécessaire, il ne serait plus le bon peuple, il se révolterait. Voilà!

La Saraghina, région de Monthey, a dit…

Il y a eu plein de bouquins et d'articles de magazines pour populariser les idées des féministes universitaires. Des bons, des doctrinaires, des fantaisistes et des qui n'avaient rien compris... Traduttore, traditore comme disaient mes ancêtres italiens. Bien que considérées comme une minorité, c'est vrai que nous sommes majoritaires en nombre et prenons enfin notre sort en mains. Faites de même, vous les beaux gosses de gays. Et aidez-nous à changer vos frères hétéros, comme vous dites Ulysse, afin qu'ils deviennent plus vivables, qu'ils aient les qualités que nous apprécions chez certains d'entre vous, mais qu'ils s'intéressent quand même à nos corps!

Pollux a dit…

Je lis sur un autre blog qu'en "prenant pour point de départ la distinction foucaldienne entre l’acte “sodomite” et le personnage homosexuel, Sedgwick développe une théorie de l’impasse épistémologique qui structure non seulement nos idées de la sexualité mais aussi toute la culture occidentale depuis la fin du dix-neuvième siècle". C'est vrai que j'aurais bien aimé comprendre ce qui m'arrive à moi, homosexuel non sodomite.