Actuellement, j'ai le temps de me remémorer les étapes de ma vie
traversée par de multiples "synchronicités" (le hasard qui fait bien les choses). Sans l'avoir projeté, j'ai
parcouru les continents à grande vitesse, surtout pour remplir des
tâches professionnelles que je n'avais pas imaginées. À l'âge de 15 ans,
en 1951, mes parents m'ont envoyé en Allemagne en échange linguistique
durant les vacances. Dans ce village, il y avait un internat de garçons
qui m'a plu et mes parents m'y ont inscrit. En classe et au dortoir,
nous étions une vingtaine d'ados, moi seul étranger. Une douche chaude
par semaine... Mes camarades avaient traversé les épreuves de la guerre.
J'avais mangé à ma faim et et mon zizi était le seul entouré de poils
naissants.
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| Laurence Olivier, Tony Curtis dans Spartacus.
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J'avais 20 ans, la famille campait au bord de la Méditerranée. Je me
suis rendu à l'île naturiste du Levant. Le soir, alors que je me
promenais dans la forêt, un gars plus âgé s'est arrêté pour me demander
si... Non, pas encore. Il y a renoncé parce que, disait-il, la vie d'un
homo était si scabreuse qu'il valait mieux ne pas commencer... Oui,
notre situation a changé dans les pays évolués depuis 1956 ! J'ai
commencé à fréquenter des saunas alors que j'étudiais à la Fac de
Genève, puis à la Sorbonne (Paris). Le soir on y rencontrait des gars,
mais il n'était pas question de consommer sur place.
Cette liberté est arrivée plus tard. En 1966, pour mes 30 ans, je me
suis rendu en pèlerinage à Amsterdam, le Saint-Jacques de Compostelle
des pédés du monde entier. De quoi se dévergonder sans crainte de
jugement. Dans les boîtes, on dansait encore en couples. Et si je
n'avais pas rencontré de compagnon avec qui passer la fin de la nuit,
j'en trouvais un en l'informant que l'auberge où je logeais était
voisine du dancing. On louait obligatoirement une chambre avec petit-déj
pour deux. Là, j'ai observé le réveil d'un danseur de music hall; d'un
étudiant américain faisant le tour du monde; d'un ex-agent de la CIA
dont la couverture était d'enseigner l'anglais à l'Université américaine
de Beyrouth; d'un compositeur de comédie musicale; d'un technicien de
Philips; d'un journaliste de la Radio catholique des Pays-Bas; d'un
acteur belge de boulevard.
En rentrant à la maison familiale, j'avais l'air tellement serein qu'on
m'en a félicité. Comme quoi, le péché dont nous reprochaient les
bondieusards ne laissait pas de trace... Toujours en 1966, je me suis
joint à un groupe français d'enseignant/e/s qui se rendaient en train de
Paris à Hong-Kong et retour. Nous n'étions que deux à nous inscrire
sans partenaire. Étapes avec arrêts de quelques jours à Berlin-Est,
Moscou, puis Irkoutsk au bord du Lac Baïkal. C'est là, dans la chambre
que nous partagions, que l'autre célibataire s'est arrêté sur le bord de
la porte de la salle de bain pour se frotter à moi. Le destin nous
avait rapprochés !
À Hong-Kong, en me promenant le soir, je me suis arrêté devant un
établissement de bain. On m'a amené à une petite cabine. Expliqué par
gestes de me déshabiller. Quelqu'un a emporté mes vêtements, un autre
m'a emmené vers une douche où m'attendait un beau jeune homme nu. Il m'a
savonné de la tête aux pieds, puis s'est assis et m'a étendu sur ses
cuisses écartées pour me sécher avant de me ramener à la cabine. Là j'ai
été massé par un spécialiste de la médecine chinoise qui a terminé en
marchant sur mon dos. J'ai craint de devoir rentrer en Suisse sur un
brancard... Je me suis endormi. Ils m'ont réveillé avec un café et mes
vêtements lavés-repassés...
Au retour, nous avons fait escale à Pékin. C'était le 19 ou 20 août
1966. Le président Mao Zedong venait de lancer sa Révolution culturelle
prolétarienne. La ville était devenue un foutoir où des gamins, les
Gardes Rouges, remettaient en cause tous les principes communistes. Dans
notre groupe d'Européens, il y avait un journaliste -- moi -- qui en a
profité pour aller photographier les exactions commises dans les rues,
les maisons, voire des lieux touristiques récemment rénovés. Une fois de
plus, un coup de chance imprévisible m'a permis de vendre mes photos
dans le monde entier et quelques articles dans la presse suisse. Oui, la
synchronicité...
La suite de ces voyages et des synchronicités au prochain numéro. André.