Chez les Romains, Félicité (
Felicitas) était la déesse de la fertilité à une époque où la fécondité était considérée comme une grande bénédiction. Dans une boulangerie de
Pompéi, on a trouvé sur le four l'inscription
hic habitat felicitas -- ici réside le bonheur -- tracée autour d'un phallus. Aujourd'hui, on interpréterait cela comme un hymne au plaisir que procure la bite en érection. A l'époque, si j'ai bien retenu la leçon, le symbole phallique placé à l'entrée des habitations devait protéger les habitants du mauvais oeil.
Dans son ouvrage illustré
Le Sexe et l'effroi paru en 1994, Pascal Quignard nous explique dans un style précieux et pourtant viril qu'il existait un fossé entre l'érotisme heureux des Grecs et celui plus sombre des Romains (dont nous avons hérité via le catholicisme).
En comparant les textes des deux civilisations, Quignard s'est rendu compte que le mot grec
phallos,
pour bite en érection, qui a passé tout cru ou presque dans notre langue, n'était pas utilisé par les Latins. À Rome, on parlait du
fascinus qui a donné notre fascination, cette espèce d'ensorcellement devant un spectacle ou une personne. Toute proche nous avons la fascine, c'est-à-dire le fagot serré de branchages du latin
fascina, et les
fascies, ces assemblages de verges liées autour d'une hache, portés par les licteurs devant un magistrat pour symboliser son autorité -- un emblème repris tel quel par le fascisme italien.
On comprend mieux cette esthétique de l'effroi et de la fascination qui s'emparait des Romains, si habitués aux spectacles religieux ou laïques des sacrifices humains.
S'y ajoute leur horreur face à la soi-disant passivité dans l'acte sexuel. Le mec qui baise un mec, pas de problème. Mais honte à l'entubé s'il est un citoyen; un esclave ne compte pas. J'ai engrangé dix ans de latin sur les bancs de l'école et jamais personne en nous en avait informé. Je suis sûr que je me serais réveillé si le prof avait parlé de cul au lieu d'accusatif.
Une question: êtes-vous comme les Romains, mélancolique, voire dégoûté, lorsque vous contemplez l'acte sexuel. Est-ce que la fascine qui se dresse contre votre ventre dans ses moments d'indépendance vous emplit d'effroi puritain, comme c'est le cas chez les hommes qui ont choisi la chasteté pour servir l'Église et s'élever à mi-chemin entre leurs paroissiens et Dieu? Ou lui adressez-vous des pensées d'amour (et parfois l'orgueil) pour la volupté qu'elle vous procure?
André