L'autre jour, j'ai offert mon corps à la science. Marc, l'ami de
Jean, avait besoin d'exercer sa technique. Tous deux fréquentent un
stage de massage sensuel que d'autres qualifieraient d'érotique puisque
toutes les parties du corps sont traitées avec attention. Je
me suis étendu sur la table et Marc a imposé une main sur ma nuque,
l'autre sur mon postérieur. Puis il a oint d'huile l'endroit par lequel
il allait commencer. Nous étions nus tous deux. Jean dirigeait les
opérations en lisant les indications d'un polycopié. Je me suis enfoncé
dans une passivité active et toutes sortes de souvenirs sont
remontés.
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Stage de massage: démonstration. |
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La première expérience de massage (sans serviette qu'on déplace de bas en haut) remonte au
début des années 80: un week-end en Haute-Savoie. La
première cobaye étendue au niveau de ma bite (oui c'est gênant la
première fois...) m'indique que je ne devrai pas toucher... son visage! Autre expérience à l'époque: un stage avec
l'assistante d'Alexandro Jodorowsky (que je considère aujourd'hui comme
l'un de mes maîtres). C'est samedi matin et nous sommes déjà toutes et tous à poil, munis
d'une spatule en os. Le sort me désigne un partenaire. Il est étendu et
je gratte chaque centimètre carré de sa chevelure, puis l'intérieur des
oreilles et ainsi de suite jusqu'aux pieds sans manquer aucun pli,
aucun orifice. Gêné, le gars bande comme un taureau. Réaction normale.
Rien à voir avec son orientation sexuelle ni la mienne.
Retour en arrière: été 1966. Longue randonnée en train au départ de
Lausanne via Berlin-Est, Moscou, Irkoutsk, Pékin, Shanghai et jusqu'à Hong
Kong. Où je me rends un soir dans un établissement de bain bien chinois, sans imaginer
ce qui m'attend. Je me déshabille devant un gars qui emporte mes
vêtements. Un autre m'amène à la piscine où un jeune mec à poil,
splendide, me savonne et m'étrille sous la douche. Puis s'assied les
pieds dans l'eau et m'étend sur ses genoux pour m'étirer bras et jambes.
Heureusement, je me trouve à plat ventre, à l'abri du regard des autres
baigneurs. Puis retour à la cabine où un autre masseur me prend en main
et finit debout sur mon dos (oh terreur!) pendant qu'un pédicure
s'occupe de mes pieds. On m'apporte une infusion et je m'endors. Au
réveil, je trouve mes habits lavés et repassés... Le lendemain, retour à Pékin,
via Canton. La Révolution culturelle a pris un tour violent, Mao a lâché
les Gardes rouges dans les rues, ils sèment désordre et terreur. Et
moi, je prends les photos du plus grand reportage de ma vie.
1970, j'accompagne des touristes américains de San Francisco à
Athènes durant 81 jours. Escale au Cachemire, logement sur un lac dans
des maisons -bateaux. Des commerçants viennent en pirogue
proposer souvenirs et services. Un vieux coiffeur-barbier ne trouve pas
grâce auprès de mes clientes. Je lui demande une coupe de cheveux et
m'installe dans la baignoire car il n'a qu'une paire de ciseaux. Puis je
me douche pour débarrasser les cheveux et, en me séchant, il propose un
massage. Couché sur mon lit, je m'abandonne à ses gestes d'artiste et
je me rêve petit garçon massé par mon grand-père paternel que j'admirais. Lorsqu'il a terminé, je demande au barbier pourquoi il a
étiré mon sexe et mes testicules. Il répond: strong cock! Bite solide. Il avait
pratiqué sans intention d'allumer pour obtenir un supplément. Plus tard,
j'ai découvert le Shantala, l'art indien du massage des petits enfants
prôné en France par le Dr Frédérick Leboyer. Mon corps avait tout
compris.
Quelques semaines plus tard, nous logeons au Hilton du Caire. Au
sous-sol, un hammam et ses masseurs empressés. Je tombe sur un mec sans bedon, bien
bâti et poilu. Sa prise en main est moins violente que celle
des garçons de bain turcs que je connaîtrai plus tard. Il est axé client
américain en quête d'exotisme et peut-être plus. Après un bon
traitement, il tourne autour du pot et j'acquiesce pour voir jusqu'où il
ira pour le supplément demandé. C'est bâclé, afin de prouver son
désintérêt (à part financier) pour la chose. Attitude répandue à
travers le monde. Les mecs ont honte de ce qu'ils pratiquent sur
eux-mêmes et en secret avec leurs potes depuis l'enfance. Ils sont
d'autant plus pharisiens dans les pays où les femmes doivent arriver
vierges au mariage, de crainte d'être punies pour avoir déshonoré la
famille. C'est tout autant chrétien intégriste que musulman.
Un beau souvenir: c'est l'été 1986 sur l'île
grecque de Skyros, au bord de la mer dans un club de vacances anglais de style Nouvel-âge.
Chaque fin d'après-midi après la planche à voile, le yoga, la peinture
ou le grec moderne, un prof enseigne sa version du massage sensuel à un
groupe de femmes et d'hommes à poil. Le reflet des rayons du soleil sur
la mer se projette contre le plafond du local où nous oeuvrons. Je
découvre la magie du travail sur les pieds. Chaque jour nous
entreprenons le massage d'une autre partie du corps; chaque jour le prof
annonce que nous nous approchons de l'acte final: le massage du sexe.
Et chaque jour le nombre des participants diminue: ils sont Anglais et
pensent: qu'est-ce que la reine ferait à ma place...
L'initiation à l'extase à la fois sexuelle et spirituelle m'est venue
plus tard, à Zurich, où Joseph Kramer, ancien Jésuite et fondateur de
la Body Electric School, dirigeait un atelier du feu de Dieu. Le massage
du "bâton magique" dans toute sa beauté, enseigné avec une énergie mâle
et une patience monacale. Nous étions entre mecs. Des amateurs, des
thérapeutes,
des éducateurs, des masseurs érotiques. Gars qui savaient
mieux donner que recevoir. Nous avons appris à inspirer et expirer comme
un
vent léger, à retrouver nos sensations corporelles, à lâcher prise. À
prendre en mains la bite et les couilles d'un ami, d'un
amant, d'un inconnu, d'un client. Couché sur la table, il recevait les
soins prodigués par trois masseurs, l'un attaché à son sexe, les autres à
répartir l'énergie au-dessus et au-dessous de la ceinture. Caresses,
vibrations, mouvements intitulés rock around the clock, portes de la conscience, massage arc-en-ciel, twist
and shout se succédaient pendant que les deux assistants massaient le
ventre, la zone du coeur, les tétons, les jambes pour créer un lien
d'énergie entre le sexe et les autres parties du corps. Jusqu'à ce que
le bénéficiaire se sente bander des pieds à la tête dans un orgasme avec ou sans jet de sperme. Joseph Kramer est
aussi devenu mon maître.
André