Il y a trois choses qu'un être humain devrait connaître pour vivre avec
grâce et naturel en ce monde: ce qui est trop difficile pour lui, ce qui
est trop facile, et ce qui lui convient vraiment.
Installes-toi auprès d'un arbre et, si tu es patient, tu verras l'Univers se déployer devant toi.
Regardez bien ces gars ! Non, ne vous gênez pas. Tous leurs efforts
se concentrent sur l'apparence. Jour et nuit ils consultent leur miroir:
"Miroir, grand miroir, suis-je le plus balèze de mon village ? De mon
département ? De mon pays ? De la planète ?" Et le verre étamé répond:
"Mec, il faut encore développer ceci, affiner cela, et patati et
patata." Non, je ne me moque pas d'eux. En tant que gays, nous savons ce
que cela signifie, en matière d'humiliations, d'être traité de
maigrichons, de pauvres cons, de filles manquées, etc. durant l'enfance.
Et d'avaler tout le mépris de nos camarades d'école.
Eux aussi, les musculeux d'aujourd'hui, ont probablement fait face aux
quolibets, à l'impression d'être inadéquats, marginalisés. C'est ce qui a
motivé leur frénésie de gonflette. Certains adeptes du bodybuilding en
sont conscients, d'autres pas. Et ils n'ont pas trouvé d'autre moyen de
guérir de leur blessure narcissique. Ne serait-ce que pour éviter de
foutre en l'air leur santé. Éviter d'imposer leurs obsessions
monomaniaques à leur entourage. Ils ne mangent pas les mêmes repas aux
mêmes heures que leur épouse et leurs enfants. Ils traversent des
périodes de grande nervosité lorsqu'il leur faut renoncer à tout liquide
pendant des semaines pour affiner leur silhouette en vue d'une
compétition.
Beaucoup de gars souffrent d'être malingres; et méprisés par leur pairs
durant la jeunesse. Or il existe toutes sortes de moyens pour se
projeter en mâle alpha. En se lançant dans la finance, la politique,
l'industrie, la religion ou en rejoignant la mafia. En s'achetant un
gros bolide et séduisant une poupée aux seins débordants; en faisant
carrière dans le cinéma. Sinon en devenant président d'une nation.
Imaginez un dompteur de fauves au Cirque Medrano. Il est dans la cage au
milieu de l'arène. Les tigres arrivent l'un après l'autre. Ils sont
huit auxquels le gars a fait croire qu'il est le plus fort. Et le
spectacle se déroule sans incident. Mais si l'artiste doit dresser 67
millions de bêtes sauvages, l'illusion ne fonctionne plus. Enfermés dans
la cage avec lui, ces animaux savent aussi qu'ils n'assouviront pas
leur faim en le bouffant.
Où se situe la difficulté ? Que ce soit un président de petite taille
qui se prend pour Superman ou un bodybuilder caparaçonné, ils ont tenté
de masquer les symptômes de leur problème psychologique (pour lequel
ils ne sont pas responsables) au lieu de chercher à guérir. On sait
néanmoins aujourd'hui qu'il existe des moyens de remédier à un trouble
narcissique ou aux conséquences terribles d'un abus durant l'enfance.
Mais c'est seulement en reconnaissant la situation et ses répercussions
que l'on peut entrer dans un processus d'évolution. L'hypertrophie
musculaire ou politique n'est pas la solution, elle ajoute une couche
épaisse au problème.
André
Des muscles en bonne santé: l 'homme en slip bleu a 73 ans, il s'exerce dans un parc en Ukraine.
En débarquant l'autre jour à Melbourne pour participer à son 21e
Open d'Australie, Roger Federer s'est plaint que les organisateurs
aient tardé à prendre la décision de reporter ou non le tournoi à cause
de la pollution causée par les incendies. De nombreux sportifs ont
craint qu'on ne mette en danger leur santé, mais un seul a déclaré
forfait. Notamment par respect envers les Australiens qui sont en train
de perdre leurs lieux de vie. Quant aux stars du tennis, elles n'ont pas eu la
hardiesse de donner l'exemple en renonçant. Au sujet de l'incertitude
des organisateurs, Federer a déclaré que "bien communiquer est la clé de
la réussite". Le champion suisse venait d'être interpellé sur les
réseaux sociaux de son pays pour son parrainage publicitaire de Crédit
Suisse. Les activistes du climat reprochent à cette banque d'investir
massivement dans les énergies fossiles.
Greta, elle aussi, a interpellé le beau Roger.
On
estime que Federer gagne environ 60 millions de dollars par an rien
qu'avec les publicités dans lesquelles il apparaît. Il
a répondu à ses critiques qu'il prend très au sérieux les menaces liées
au changement climatique. Ses chargés de communication lui font dire:
"J'ai beaucoup de respect et d'admiration envers ces
jeunes qui se mobilisent pour le climat. Je leur suis aussi
reconnaissant
de nous obliger à examiner nos
comportements". Il apprécie qu'on lui rappelle sa
responsabilité comme
individu, athlète et entrepreneur. "Je m'engage à
utiliser ma position privilégiée pour dialoguer avec mes sponsors sur
ces questions importantes."
Douze membres de Lausanne Action
Climat ont été jugés pour avoir occupé les locaux de
Credit Suisse en novembre 2018, déguisés en Roger Federer. Ils ont été
condamnés par ordonnance pénale, avant de faire opposition. Et là, ils ont été acquittés.
La semaine dernière, le juge a reconnu que la désobéissance civile pratiquée par ces
manifestants pour le climat se justifiait. Ils réclament des comptes aux
banques, aux politiciens et aux grandes entreprises parce qu'il y a
urgence. Autant dire que ce jugement a été mal accepté dans les milieux
judiciaires et politiques de droite, ainsi que par l'industrie du luxe. Car les déplacements perpétuels à travers le monde et le train de vie ostentatoire de Federer servent d'incitation à la consommation pour les foules qui l'adorent.
Vendredi dernier, plus de 10'000 manifestants sont venus de toute la
Suisse à Lausanne -- ma ville -- pour célébrer leur première année de lutte contre le
réchauffement climatique. La jeune activiste suédoise Greta Thunberg qui était déjà venue en août
dernier, était présente. Elle a commencé son discours en prononçant en français "Bonjour Lausanne, ça va bien ?" Puis elle a dénoncé l'inaction. "Ça doit changer". Elle a déclaré qu'elle en était à son 74e
vendredi de grève
du climat. "Ce n'est que le début (...) Ils n'ont encore rien vu !"
Elle a promis qu'elle porterait le message des "grévistes" jeunes et
vieux lors de son déplacement cette semaine au Forum économique de Davos
(WEF) où Donald Trump devrait également se trouver, s'il ne fait pas
faux bond pour une raison évidente.
À
la tribune, la militante environnementale et féministe kenyane Njoki
Njoroge Njehû a également fustigé le WEF de Davos. Elle s'en est prise à
tous les milliardaires du monde, les accusant de piller la planète.
Participer à une marche, c'est symbolique et fort. Le jeune Oleg résume
parfaitement ce que j'ai ressenti lors des premières Marches des
fiertés, dans les années 70-80, où ne s'aventuraient que ceux qui ne
craignaient pas de révéler leur orientation sexuelle en public. Oleg a
raison: on reste motivé si l'on garde une hauteur de vue sur tout ce
qu'il faudra encore et encore réaliser pour toucher au but. Je suis
optimiste; j'ai consacré beaucoup de temps au développement du mouvement de
libération homosexuel. Et nous n'aurions jamais imaginé, lorsque nous
avons commencé, que nous pourrions atteindre ce à quoi nous sommes
arrivés maintenant.
Vendredi dernier, en me joignant au cortège du climat à Lausanne, moi vieux bougre de 84 ans, j'étais tellement ému de voir cette jeunesse déterminée que j'en pleurais à pleines larmes. Me repassaient dans la mémoire d'autres manifs de tous genres auxquelles j'ai participé ou que j'ai observées en tant que journaliste. La Révolution dite culturelle en 1966 en Chine, avec l'intervention violente des jeunes Gardes rouges à Pékin. Les débuts du Mouvement hippie à San Francisco, l'année suivante. Mai 68 en Europe de l'Ouest. Et puis, les cortèges de l'église au cimetière à partir de 1985, ou directement de l'hôpital au cimetière, avec juste une infirmière et une poignée de potes, lorsque les Églises, les sectes ou les familles rejetaient leur malade du sida. Oui, les cortèges de l'espoir et ceux du désespoir.