samedi 17 mai 2014

Père et fils pensent : l'enfer, c'est l'autre. Comment sortir du piège


Un Théâtre Guignol sans fin.
Récemment, pour marquer mon anniversaire, je voulais voir à Berne les aquarelles qui traduisent l'éblouissement de Paul Klee, Louis Moillet et August Macke en découvrant la Tunisie en 1914. Le destin m'a amené ailleurs à l'invitation d'un homme qui m'avait écrit: "Il y a peu, j’ai découvert certains de tes blogues que j’ai trouvés intelligents et sensuels." Il proposait une rencontre. Qui résisterait à une telle invite? Nous avions rendez-vous à midi à la terrasse d'un bar. J'avais lu des coupures de presse le concernant et vu sa photo. Markus (appelons-le ainsi) est historien et a publié plusieurs ouvrages importants sur sa région. Après un premier verre, il a décidé que nous irions manger chez lui plutôt qu'au restaurant où je l'invitais.



Bâtisse ancienne. Alors qu'il ouvre la porte, un martinet tente de s'échapper du couloir. Il le collecte calmement dans ses mains et le libère en m'expliquant que l'oiseau est entré par une ouverture dans le toit. Dans son appartement sombre, en soupente, je découvre des piles de bouquins, de revues et de dossiers entassées par terre, contre les pieds des tables et des canapés -- encore plus que chez moi... Markus pose des amuse-gueule, une bonne bouteille, des raviolis sur le coin d'une table basse. Il s'installe par terre, moi sur le canapé. Il se met à torse nu. Bel homme cinquantenaire, il porte en son visage et dans son ventre la lourde cohabitation de trois personnages: l'artiste sensible et l'éditeur réaliste; l'homosexuel courageux, mais discret lorsqu'il le faut; et le gamin qui réclame à cor et à cris sa place dans la société. Notre conversation commence par mes questions sur sa carrière, mais dévie rapidement vers sa vie privée.


Père rejetant, manquant et détesté. Mère déclarant à ses enfants que ce mari était "une erreur de casting". Beau-père heureusement d'une autre étoffe. Oncle avec lequel Markus a eu sa première expérience sexuelle à l'âge de 14 ans, qui le lâche ensuite alors que l'ado désirait poursuivre la relation. Ribambelle d'amants qui jouent -- et lui avec eux -- à "tu veux ou tu veux pas" ou à "bien au contraire". Psy qui, selon Markus, était amoureux de lui au début de leur relation professionnelle... Putain de mélasse de merde...

Un souvenir quasi photographique...

... de chaque injustice...

... subie ou imaginée. Et de l'alcool.
Un homme que je côtoie l'été au bord de l'eau, appelons-le Patrick, tient aussi dans son collimateur un père méprisant et détesté. Patrick se plaint de tout, et le discours ne change pas d'un an à l'autre. Profession, gars qu'il drague, voisins sans éducation, s.d.f. qui chient dans le parc où il promène ses chiens. Patrick est très bel homme, intelligent, assez doué pour changer totalement de profession et réussir. Mais le chagrin que lui a causé son père manquant et la haine qu'il lui porte l'empêchent de se réaliser, me semble-t-il. Qu'est-ce qui provoque la mise en place de telles barrières entre père et fils chez Markus, Patrick et tant d'autres hommes gays ou hétéros?

Fils cible et...

... père coupable, victime dans sa jeunesse.
Revenons chez Markus. Il prépare les cafés et me propose de passer dans sa chambre à coucher, "on les boira après". Nous nous étendons, je dénude mon vieux torse et m'attends à quelques caresses réciproques. Il sort sa bite et la pression sur ma tête m'envoie un message précis. Puisque je n'ai pas encore testé ma nouvelle dentition (et le palais attenant) dans ce genre de situation, c'est l'occasion! En cas d'échec, je ne risque rien puisque je ne cherche pas à séduire mon hôte. Je me penche donc comme je le ferais sur un gâteau d'anniversaire pour souffler les bougies. Et ça marche, à mon grand étonnement...
Le moine bouddhiste Thich Nhat Hanh qui réside en France écrit que l'écoute attentive peut aider à soulager la souffrance d'un interlocuteur qui se sent malmené, même si sa perception du problème est faussée,  pleine d'amertume. En l'écoutant, vous en apprenez beaucoup sur votre propre manière de percevoir les événements et d'y réagir. La colère et la plainte sont notre réaction naturelle lorsque nous nous sentons victime d'une injustice, mais elles n'aident pas à évaluer la situation avec lucidité. La compassion permet en revanche de régler les problèmes.
Le fils va-t-il sortir de son état de victime?
Mon géniteur -- toujours présent auprès de ses cinq enfants -- était pourtant à moitié absent parce qu'il ne s'était jamais consolé de la mort de nos demi-soeur et demi-frère, assassinés par leur mère, sa première épouse. Néanmoins il ne m'a jamais rejeté. Lors de mon coming out, il a exprimé ceci: "Je ne comprends pas, mais je ne juge pas". J'ai pu vérifier qu'il disait vrai. À sa manière, il m'a toujours soutenu. M'ont manqué la démonstration de son affection et de ce qu'est la virilité, lorsque père et fils jouent et s'affrontent, puis s'enlacent à l'issue du match et reniflent leurs odeurs. Markus et Patrick n'ont pas eu de chance. Pour eux, quelle issue? Je ne sais pas. Peut-être celle du pardon. D'abord à eux-mêmes. Puis envers leurs pères qui, probablement, n'avaient pas non plus senti auprès d'eux l'odeur d'un mâle adulte protecteur et aimant.

André 

P.S. "Markus" m'a suggéré de rédiger un compte-rendu de notre rencontre. Je ne le lui ai pas soumis avant sa publication. Toutes les photos sont empruntées au blogue italien babalaas.tumblr.com que je vous incite à visiter.

2 commentaires:

renepaulhenry a dit…

Très bien...Peace and love...

Xersex a dit…

le pardon serait l'acte plus difficile, mais plus positif et peut-être plus libérateur.