À travers les siècles, les pissotières ont toujours représenté des
lieux magiques, sinon maléfiques, où se déroulent des rites tabous,
voire sacrilèges, dont le secret est mal gardé. Évaluez le nombre de
mecs qui se considèrent
normaux hétéros et les fréquentent néanmoins pour toutes sortes de raisons, comme celle d'avoir un besoin urgent.
Interrogez les gars qui sortent d'un édicule public et demandez-leur ce
qu'est pour eux un "besoin pressant". Celui de vider leur vessie, de
contempler en sociologue et ami des arts les graffiti (dessins et
inscriptions) qui figurent sur les parois, de s'injecter un produit, de
plonger une main dans leur slip pour remettre en place les bijoux de
famille sans choquer les passants, de lâcher un prout pétaradant et
odoriférant? Ou tout simplement de fraterniser avec leurs semblables?
À propos de graffiti... Il y a les gribouillis obscènes qui défoulent ceux qui les apposent; les tasses (pissoirs,
tearooms,
public urinals)
sont l'endroit idéal pour rassembler ces oeuvres d'art brut. Les ruines
de Pompéi témoignent de cette pulsion intemporelle: les mâles ont besoin de
laisser des traces culturelles plus durables que leur pisse et leur
sperme. Les murs témoignent ainsi de leurs exploits sexuels, de leurs
désamours et inimitiés; ils informent aussi de leurs besoins, avec
numéro de téléphone ou lieu de rencontre privilégié. À Pompéi, à
l'entrée des thermes ou d'un lupanar, on pouvait lire:
Vibius hic nihil futuit, Vibius n'a rien baisé ici, ou
Antiochus hic futuit cum sodalibus, Antiochus a baisé ici avec ses copains.
À la fin du 19
e siècle, l'architecture des urinoirs publics français
n'était pas conçue par des sadiques dont l'intention aurait été d'empêcher de pisser les types
pudiques, ou ceux qui n'arrivent pas à se soulager en présence d'autres
personnes. Non! Il s'agissait de réprimer l'immoralité. Imaginez que certains
messieurs rôdaient autour de ces endroits de passage pour commettre avec d'autres
messieurs, en tout anonymat, des actes de chair que la morale réprouve
encore aujourd'hui, bien que la demande ne cesse d'augmenter.
C'est peu dire que ces dispositions n'ont pas éradiqué le problème. En revanche, elles ont permis d'arrêter beaucoup d'hommes qui ne pouvaient pas se
permettre de tels actes ailleurs. Des politiciens notoires, des membres
du clergé, des fonctionnaires de police eux-mêmes -- mais en dehors de leurs
heures de faction autour de ces mêmes édicules. Aux États-Unis (qui
n'ont pas connu la chapelle vouée au robinet viril) les
mecs qui draguent plus discrètement que d'autres dans les toilettes
publiques ont mis au point un signalement spécifique. Tu vois un type plaisant entrer dans une cabine, tu t'installes dans le compartiment
voisin et tu tapes du pied. Si l'autre répond, vous sortez
ensemble et prenez rendez-vous. La police des moeurs en profite pour envoyer ses
spécimens les plus alléchants à la chasse. Ils arrêtent le menu fretin, mais aussi
des personnages connus, pères de famille, politiciens qui font campagne contre les droits des LGBT, chanteurs dont la carrière est
salement enrayée puisque les flics sont en ligne directe avec
les journaux à scandales.
Si les murs des pissotières sont presque muets aujourd'hui, c'est à
cause des revêtements synthétiques et des sites de rencontre sur la
toile. On n'y lit plus "Où il y a de la gêne, pas de plaisir", sinon "La
sodomie est un péché qui mène en enfer -- où tous les mecs sont gays", ou encore "19 cm" suivi d'un numéro de téléphone. Alors on pisse en consultant son portable.
André
2 commentaires:
vraiment très interessant!!!
Merci pour cet article très intéressant en effet. Mais où trouver les pissotières aujourd'hui ? Les rares que je connaisse semblent plus ressembler à des blackrooms. Un escalier, l'obscurité, l'odeur d'urine de plusieurs jours ... à couper l'envie ...
ou bien des toilettes payantes ( en gare de Lille Flandres ) à 0,80€ payables en liquide ou CB, où la propreté contraste avec l'exemple précédent, où l'espace autoriserait un plan à plusieurs mais impossible puisqu'on y est épié, surveillé étroitement. Du temps d'une adolescence lyonnaise, j'ai connu ces pissotières où la drague et le sexe étaient possibles. Temps révolu ?
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