Le soir du 9 novembre 1989 marque une date capitale dans la vie des gays en Allemagne de l'Est. "Coming Out", le premier film consacré à leur difficile mode de vie dans ce pays communiste sera projeté à 19h30 à Berlin-Est, au cinéma International. Dans la salle, l'attente des spectateurs est perceptible. Heiner Carow, l'un des grands réalisateurs de la République démocratique allemande (RDA) a dû attendre sept ans avant d'obtenir l'autorisation de tourner ce film sans que les autorités n'interviennent pour censurer une scène ou l'autre. Néanmoins, la courageuse équipe de tournage a bien senti qu'elle était épiée par des membres de la Stasi, le service de renseignements tout puissant. Mais les acteurs et techniciens sont soulagés: personne n'a barbouillé leurs portes avec des messages de haine, ni ne les a attaqués en pleine rue. Car oui, il y a aussi des skinheads dans ce pays policier; une scène du film en montre en train de tabasser un pédé... Mais la RDA a les yeux fixés sur une autre révolution.
Les manifestations de rue se multiplient à travers le pays et ne sont pas combattues par la police. Sans violence, la foule réclame la liberté d'expression, celle de réunion, l'indépendance de la presse. Des débats sont organisés dans les églises protestantes et l'on prie pour un changement de mentalité des dirigeants. La plupart des participants n'étaient jamais entrés dans un temple... Or il se produit l'impensable: dépassé par les événements, le pouvoir autorise le franchissement du mur pour une petite balade dans Berlin-Ouest, sans visa. Au milieu d'un chaos incroyable, celui qui est chargé de transmettre la nouvelle commet une erreur et annonce que le mur est ouvert le soir-même, alors que c'était prévu pour le lendemain. Les foules se précipitent en masse en direction de Berlin-Ouest; débordés, les flics et les douaniers qui n'ont reçu aucune consigne ouvrent la frontière laissant passer piétons et voitures.
La première du film fait un tabac. Surtout à cause de son réalisme dans la description de la vie homo en RDA. Voyez, cher public, aujourd'hui nous pouvons tout montrer ! C'est dans l'air du temps. À la fin de la projection, Carow, le metteur en scène qui a toujours résisté au pouvoir se sent réhabilité. Il ne s'est pas battu en vain. Ignorants encore ce qui est en train de se produire dans la ville, l'équipe du film et ses invités va célébrer son succès dans un bistrot ouvert aux gays où l'une des scènes du film a été tournée. C'est la fête et lorsque un mec ébouriffé ouvre la porte et crie de l'extérieur "Ils ont ouvert le mur !" personne ne le croit. Le patron du bistrot l'invite à boire un verre: "ça te calmera..." Puis un deuxième messager annonce la nouvelle et quelques personnes vont vérifier dehors. Même depuis cette petite rue on peut apercevoir la longue file de Trabant (les VW de RDA) et de gens qui crient "Nous y allons !" C'est comme si un autre film de coming out était en train de se tourner. Le mur tremble, le mur tombe. Ah bon ! Qu'est-ce que ça présage ? Quelqu'un remarque: "Tout ça va beaucoup trop vite !" Ils ferment la porte et retournent à leurs boissons.
Le film Coming Out décrit l'évolution de Philipp, un jeune prof qui s'engage dans une relation avec Tanja, une collègue qu'il met enceinte. Il essaie de renoncer à son homosexualité, mais ses rencontres lui font découvrir qu'on ne peut aller contre sa nature. Dans une scène qui s'adresse autant aux spectateurs qu'à ses élèves, Philipp les encourage à devenir plus conscients de leur propre valeur. Au contraire de la règle communiste qui oblige le citoyen à passer du Je à Nous.
Dans leur bistrot, lorsque l'équipe du film et les invités retrouvent leur souffle, ils sont persuadés que l'ouverture à l'ouest va éclipser leur Coming Out. Pourtant cela ne se produira pas. Les spectateurs de RDA se rendront en masse au cinéma et les curieux de l'ouest traverseront la frontière pour le voir. L'année suivante, la Berlinale, Festival du film de Berlin-Ouest lui décernera l'Ours d'argent de la meilleure contribution artistique et le Teddy Award du meilleur film réservé aux productions LGBT.
André
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1 commentaire:
très interessant et important!
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