samedi 20 décembre 2008

Ted Haggard, l'homme qui s'est piégé lui-même




Cette histoire de déni nous concerne. Non parce qu'il s'agit d'un conseiller religieux de Bush, d'un prédicateur à succès qui a saboté sa brillante carrière par une conduite sexuelle à risque, mais parce que l'homme était divisé contre lui-même (observez ses yeux). Et cela peut nous arriver à chacun.

En moins de vingt ans, la communauté charismatique que le révérend Ted Haggard avait fondée dans le sous-sol de sa maison avait enrôlé 14'000 membres. Et le modeste lieu de réunion du début était devenu une méga-église à Colorado Springs, aussi vaste et fréquentée qu'un centre commercial. Haggard lui-même avait accédé à la présidence de l'Association nationale des Évangéliques (30 millions de membres); il était catalogué par Time Magazine comme l'un des 25 leaders américains de cette forme de religion. Il parlait "avec Bush ou ses conseillers chaque lundi" et avait incité ses coreligionnaires à voter pour lui en 2004. Pasteur Ted s'engageait aussi dans la guerre confessionnelle et politique sans fin que mènent les fondamentalistes (cathos et parpaillots) contre l'interruption de grossesse et le mariage entre personnes du même
sexe. Il y ajoutait -- en homme de coeur -- la lutte contre le réchauffement planétaire et contre la pauvreté. Ce père modèle (cinq enfants) joignait parfois l'utile à l'agréable en se rendant le soir dans les bars gay de Colorado Springs, pour inviter les mecs à se joindre aux fidèles de sa New Life Church.

Or un jour noir de novembre 2006, le beau Mike Jones, un masseur érotique qui avait pour client depuis trois ans un certain "Art" (Arthur, deuxième prénom de Haggard), et venait de découvrir que Art
et le prédicateur Ted Haggard ne faisaient qu'un, le dénonça publiquement. L'éthique professionnelle des travailleurs du sexe, c'est la discrétion totale. Mike Jones s'y tenait. Mais ce client qui menait campagne pour l'interdiction du mariage gay dans l'État du Colorado poussait le bouchon trop loin.

Les pontes christianistes qui fréquentaient Ted imaginèrent que c'était une attaque politique sans fondement. Père de famille, chef d'entreprise (son église et les dépendances employaient 360 personnes), cet homme appartenait sans question au club exclusif des mâles blancs hétérosexuels qui ont réussi... [Il est temps que ces mecs découvrent l'étendue de la bisexualité dans la société humaine!] Finalement, Haggard lui-même concéda: "Je suis coupable d'immoralité sexuelle. J'assume entièrement la responsabilité de ce problème. J'ai trompé et j'ai menti. J'ai lutté depuis que je suis adulte contre un élément de ma vie qui est répugnant et sombre."

Dans un milieu où il n'est pas acceptable, si l'on veut faire carrière, de vivre sa sexualité dans toutes ses nuances -- qu'elle soit hétéro, homo, bi ou autre -- l'adolescent non-hétéro grandit en nourrissant un dégoût de soi-même qui entraîne le déni. Alors il ferme les yeux sur une réalité dont la perception serait trop traumatisante, étant donné la menace de rejet familial. Ce refoulement, s'il persiste,
entraîne des conduites par lesquelles le sujet se met en danger. Exemple: un mec qui a des dons de prédicateur s'engage en faveur d'un dieu qui ne le respecte pas dans l'expression de sa sexualité. Il s'enferme encore plus en s'entourant de gens hostiles. Il lutte ouvertement contre des personnes qui lui ressemblent (et qui pourraient participer à son bonheur). Il se punit un max et, lorsqu'il craque, se sent coupable au lieu de déclarer (sauf à sa femme et ses enfants): "Allez tous vous faire foutre!" Peut-être aurait-il littéralement raison: ce sont des gars très refoulés qui harcèlent les autres.

Ted Haggard a été jeté, remplacé dans la paroisse qu'il avait fondée et soumis par ses pairs à une thérapie visant à instiller en lui une hétérosexualité béton. Ses thérapeutes religieux ont déclaré, au bout de deux mois déjà, qu'il était totalement hétéro. Aujourd'hui, dans un documentaire TV qui sera diffusé en janvier, il déclare qu'il a été suicidaire, qu'il est toujours en lutte, mais n'envisage pas le divorce à cause des enfants. Sa femme étudie la psychologie. A 52 ans, il vend des assurances et affirme: "Je suis un perdant."

Ulysse

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