Le repas de samedi dernier que je passais dans les branches de l'arbre généalogique a aussi été l'occasion de reprendre contact avec celles et ceux que je n'avais plus croisés depuis le dernier enterrement. J'ai constaté la force tellurique de la majorité des femmes présentes. Tandis que nous les mecs, plus nous vieillissons, moins bien nous cachons l'insignifiance de notre existence -- fêlure ou manque d'humilité dont peu d'entre nous savent guérir. En général, les femmes partent dans la vie active avec moins d'attentes (sauf en amour) et peuvent ainsi s'étonner elles-mêmes.
Quelques-uns de mes cousins sexa- et septuagénaires ont encore fière allure et exhibent un sourire chaleureux. D'autres, plus fragiles, n'en sont pas moins sympathiques. Mais derrière la plupart de ces visages barbus ou non, combien de distance protectrice, quelles grimaces de souffrance et d'anxiété! Il y a les soucis professionnels: les industries mécanique et alimentaire, le transport international étaient représentés dans l'assistance. Et puis, chez un type qui croit que les couilles remplacent l'introspection, que de questions jamais exprimées (et donc sans réponse)! Et encore: chez un homme honnête et religieux (ou seulement religieux) qui n'a pas appris à démêler ses rêves et à examiner lucidement ses désirs, que de paniques, de dérapages; que de dégâts moraux et physiques...
On comptait aussi parmi nous une petite poignée de gars... inatteignables, qui ne voulaient pas échanger trois mots avec le mec gay que je suis. Comme s'ils craignaient de ne pas être suffisamment vaccinés. La dureté et/ou la souffrance s'inscrivait en lettres majuscules sur leur visage. Leur corps était trop raide, ou au contraire tordu.
J'admire celles et ceux qui vieillissent avec grâce, dont la beauté devient plus chaleureuse, la bonté moins gourmande. Ces femmes qui ont acquis quelques qualités masculines, par exemple de s'affirmer sans devenir étouffantes. Ces hommes qui ont développé des traits féminins intérieurs, comme l'écoute attentive, ou un courage que ne se... décourage pas si tôt.
Cette peinture du Caravagio prend le prétexte biblique de l'apôtre Thomas l'incrédule pour encourager les gars à localiser leurs plaies.
C'est peut-être parce que plusieurs cousines -- surtout par alliance -- m'avaient si chaleureusement serré dans leurs bras que m'est revenu le souvenir d'un stage avec Frédéric Leboyer imbriqué dans une semaine de soufisme. Pourquoi, homme sans descendance prévue, m'intéressais-je à la musique que le bon docteur Leboyer faisait intervenir durant la grossesse et l'accouchement? Là et dans d'autres stages, j'ai compris combien la vie avant notre naissance est déjà riche d'expériences. Les femmes qui ont été foetus, puis berceau nouricier d'un autre foetus, ont un accès privilégié, sinon déchirant, au monde caché. Plusieurs mythes de la création parlent de la terre-mère qui se fend pour donner naissance à l'être humain. Les mecs n'enfantent que la colère à force d'emmagasiner la bile et l'effroi. Il existe pourtant des moyens masculins de rejoindre l'expérience féminine et de gagner en humanité. A chacun de trouver son chemin.
|| Ulysse -- Photos: statuette africaine de femme enceinte et saint Thomas du Caravagio, empruntées au photoblog de... Thomas.
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