lundi 7 septembre 2009

Le grand silence entre père et fils



L'émission d'Arte Au coeur de la nuit, jeudi dernier, m'a fait connaître -- j'ai envie de dire: rencontrer -- Uwe-Karsten Heye. Dans les années 1970, il rédigeait les discours de Willy Brandt; de 1998 à 2002, il a été le porte-parole de Gerhard Schröder. Aujourd'hui, il occupe le poste de consul général d'Allemagne à New York. Mais c'est la relation brisée entre son père et lui qui m'intéresse. À ce sujet, il a publié Vom Glück nur ein Schatten (Blessing Verlag, 2004), le récit d'une famille séparée par la guerre et les malentendus. Un texte où il laisse entrevoir un être meurtri derrière la façade policée de l'homme public.

Genèse du livre
: le retour angoissant, étape après étape, sur les traces de sa jeunesse... Très tôt, la guerre l'a privé de père, comme beaucoup d'enfants allemands de sa génération. Heye sénior menait une carrière de chanteur d'opéra lorsque la Wehrmacht l'a enrôlé en 1942. Il a déserté. Pendant qu'il se cachait en Pologne, les nazis ont obligé son épouse à divorcer. Puis les gendarmes militaires ont retrouvé le déserteur; il a passé en cour martiale et a été incorporé dans un bataillon disciplinaire chargé du déminage sur le front de l'Est. Quant à sa femme et ses deux enfants qu'il avait laissés à Danzig, ils avaient retenu trois places sur le Wilhelm-Gustloff qui évacuait les civils allemands et a sombré dans la mer Baltique le 30 janvier 1945.

Le Wilhelm-Gustloff.
Après la guerre l'ancien déserteur, toujours vivant, a fait des recherches et appris que sa famille avait été noyée avec les plus de 8000 personnes à bord du vaisseau torpillé. De même son épouse -- qui avait décidé au dernier moment de fuir vers l'Allemagne par la terre -- s'est adressée à la Croix-Rouge. L'enquête a conclu que le soldat était mort. Mère et enfants ont d'abord vécu en RDA. Puis ils ont fui à l'ouest. Le chanteur d'opéra a refait sa vie... Leurs chemins se sont croisés dans les années soixante, ex-épouse et enfants adultes d'un côté, ex-mari remarié et père de l'autre, des retrouvailles d'après-guerre allemande
s comme il y en eut beaucoup. "C'était donc lui, écrit le fils. Entre lui et nous, il y avait sa vie et la nôtre, qui partageaient si peu de points communs. Sa voix était agréable, un étranger sympathique dont je pouvais maintenant dire: il est mon père."
La fuite devant les troupes soviétiques.
Ils se sont rencontrés une autre fois. Le fils n'a pas tiré grand chose de leur conversation. Le héros, le résistant, l'anti-nazi qu'Uwe-Karsten avait construit dans son imaginaire de jeune homme n'était finalement qu'un homme qui ne voulait pas s'enrôler. Le fils se pose aujourd'hui encore beaucoup de questions. "C'était comme si l'on recherchait un mort -- et qu'il était vivant." Il n'y avait pas d'approche possible pour se raccrocher à leur ancienne vie.

Ulysse

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