Dans un commentaire en réponse à La honte de faire souffrir ma famille (28 nov. dernier), Serge raconte comment il s'est libéré des masques qui le protégeaient. "Avant de sortir du placard, j'avais constamment peur qu'on découvre ma vraie nature. Mon entourage familial et scolaire utilisait les injures les plus dégradantes pour condamner les types qui ne rentraient pas dans ses normes. Ceux qui préféraient les livres aux soûleries, les sports individuels aux collectifs. J'essayais de me couler dans leur moule sans y parvenir.
La honte, le masque, la solitude.
"Un jour j'ai craqué. Une douzaine de mecs me gueulaient dessus "tantouze" dans la cour de l'école. Tout le monde l'entendait. Ils me bourraient de coups sans que personne vienne à ma défense. Points de suture: on répare facilement la peau. Dépression: guérison plus longue. Une thérapeute m'a aidé à franchir le pas. D'abord devant ma famille, qu'elle avait terrorisée en menaçant de les dénoncer si je faisais une autre tentative. Puis à la direction de l'école en répétant ses menaces. Cela a fonctionné. Elle m'a appris à me débarrasser, l'un après l'autre, des masques que je m'étais fabriqués. A mon étonnement, ceux qui étaient les plus hostiles auparavant m'ont expliqué que 'tantouze' qu'ils me criaient ne voulait pas dire que j'étais pédé et qu'ils trouvaient que j'avais "beaucoup de couilles" à me déclarer ouvertement homo. À ma place, ils se seraient flingués... J'avais 15 ans. J'en ai 23 aujourd'hui. Quand je pense à cette période, cela me fait horriblement mal. Mais j'ai fait l'expérience d'une bataille gagnée."Dans Retour à Reims (paru en septembre chez Fayard), le sociologue et philosophe Didier Eribon, prof à la fac d'Amiens, décrit comment, dès l'adolescence, il a pris une grande distance par rapport au milieu ouvrier dans lequel il avait grandi. Et que lorsqu'il s'est agi d'écrire [par ex. Réflexions sur la question gay, 1999], il a choisi d'analyser l'oppression sexuelle plutôt que la domination sociale. Car, dit-il, il lui fut plus facile de se pencher "sur la honte sexuelle que sur la honte sociale".
"Dans ma vie, en suivant le parcours typique du gay qui va vers la ville, s'inscrit dans de nouveaux réseaux de sociabilité, fait l'apprentissage de lui-même comme gay en découvrant le monde gay et en s'inventant comme gay à partir de cette découverte, j'ai en même temps suivi un autre parcours, social cette fois: l'itinéraire de ceux que l'on désigne habituellement comme des 'transfuges de classe'. Et je fus, à n'en pas douter, un 'transfuge' dont le souci, plus ou moins permanent et plus ou moins conscient, aura été de mettre à distance sa classe d'origine, d'échapper au milieu social de son enfance et de son adolescence."
J'ai commencé la lecture de Retour à Reims hier soir, c'est passionnant.
Ulysse
1 commentaire:
Oh non! je ne suis pas féministe, disent les femmes aujourd'hui, elles qui bénéficient de la lutte engagée par les générations précédentes et se plaignent des inégalités dont elles sont encore victimes. Et c'est pareil chez les gays qui ignorent ou méprisent paresseusement l'engagement des valeureux militants, de plus en plus rares. Merci, par ce post, de nous rappeler que tout n'est pas acquis.
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