dimanche 13 février 2011

Le livre des torturés, des disparus et des morts égyptiens

«Les portes du ciel se sont ouvertes pour moi, les portes de la terre se sont ouvertes [...] Celui qui me gardait m'a délié [...] J'ai de nouveau l'usage de mon coeur, [...] l'usage de mes bras, l'usage de mes jambes, l'usage de ma bouche, l'usage de tous mes membres et je peux profiter de l'eau, bénéficier de la brise, du fleuve, me libérer de ceux et celles qui agissaient contre moi dans l'empire des morts, des ordres édictés contre moi sur terre [...] Je me soulève sur mon côté gauche et je me mets sur mon côté droit; je me soulève sur mon côté droit et je me mets sur mon côté gauche. Je m'assieds, je me lève, je secoue ma poussière. Ma langue et ma bouche sont des guides habiles. Celui qui connaît ce livre, il peut sortir au jour et se promener sur terre parmi les vivants...»
 
J'ai choisi cette citation du Livre des Morts -- rouleau de papyrus que les vivants déposaient dans les tombes égyptiennes il y a plus de 4000 ans -- et ces peintures sur bois qui datent du début de notre ère pour honorer les centaines et centaines de personnes qui ont été tuées par balles ces derniers jours dans les rues et les prisons d'Égypte. Pour évoquer les très nombreuses détentions arbitraires, souvent accompagnées de torture, ainsi que le drame des personnes disparues que recherchent leurs familles. Au détour de la liesse populaire: les sacrifiés.
Portrait de deux amants trouvé à Antinoë (vers 130 a.d.),
ville que l'empereur Hadrien avait construite en l'honneur de son éphèbe favori,
Antinoüs, noyé dans le Nil. 

Préservés grâce à la sécheresse du désert, les tableaux découverts dans les tombes de la région du Fayoum et d'Antinoë nous offrent les plus anciens portraits de l'Antiquité. Un reflet de la société des trois premiers siècles de notre ère où les Romains, les Grecs, les Bithyniens, les Syriens et les Libyens se mêlaient à la bourgeoisie urbaine égyptienne. Peints à la détrempe ou à l'encaustique (sur du bois de sycomore, tilleul, figuier, chêne ou hêtre), les portraits étaient déposés dans les sarcophages. Sortis de leur grand sommeil, ces visages nous regardent droit dans les yeux. Ils nous disent qu'ils ont vécu comme nous sur cette terre et que la vie était précieuse alors, comme elle l'est aujourd'hui.

André

2 commentaires:

"Edouard" a dit…

Merci de me faire découvrir ces portraits. J'en ai cherché d'autres sur la toile car ces visages méditerranéens me séduisent totalement. Je suis aussi tombé sur les deux hommes que vous présentez comme "amants", mais le commentaire parle du Tondo des frères. Mes deux questions: "Tondo"? "frères" ou "amants"?

André, en réponse à Édouard, a dit…

Le tondo est une peinture réalisée sur un support rond; celui-ci mesure 61 cm de diamètre.
À l'époque de sa découverte, les spécialistes ont décrété qu'il s'agissait de "frères". Mais devant l'évidence -- les deux gars ne se ressemblent guère -- les érudits des générations suivantes ont osé une interprétation plus vraisemblable. Sur l'épaule du plus âgé veille Hermanubis, dieu des enfers (rien à voir avec l'enfer chrétien); sur le plus jeune veille Osiris-Antinoüs qui garantit la survie dans l'au-delà (Osiris) tout en étant le patron de la ville d'Antinoë. On en déduit que les deux hommes sont membres du culte dédié à Antinoüs (le jeune amant d'Hadrien) et par conséquent amoureux l'un de l'autre.
À l'Égypte répressive d'hier, on souhaite aujourd'hui de mieux connaître son passé -- celui de l'empire romain -- ainsi que l'âge d'or arabo-musulman, époque de grande culture qui dépassait celle de l'Occident et savait chanter les louanges de Dieu, du vin et des garçons dans un même poème.