Deux hommes, 1988. |
Ainsi donc, Lucian Freud a définitivement quitté son atelier londonien, les pieds devant. Né en Allemagne en 1922, il avait été élevé en Angleterre où il a accompli toute sa carrière. Il était le petit-fils de Sigmund, lui aussi mort à Londres.
La France (qui ne s'illustre guère dans l'application pragmatique des découvertes du grand-père) a classé le petit-fils dans la catégorie "peintre académique de l'obscène" (Le Monde, 11 mars 2010). En revanche, la puissance expressive de Lucian F. est reconnue dans les pays où traditions catholique et protestante font bon ménage, où l'on se méfie de la "beauté" -- comme mon pays, comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne.
Lucian Freud cherchait toujours à prendre des risques et trouver des façons nouvelles d'approcher une oeuvre. "Il faut avoir le courage, disait-il, de ne pas peindre d'une manière rassie et prévisible." Contrairement à ce qu'estiment ses critiques ("ce n'est pas de la grande peinture. Ce n'en est que le simulacre, fondé sur l'académisation conjointe de l'obscénité et du matiérisme"), il était en perpétuelle évolution, jusqu'à ses dernières années, peignant personnages et animaux qui se trouvaient dans ses parages, demandant à ses femmes, ses enfants, des amis et connaissances de devenir ses modèles. Ce qui pouvait durer au-delà de 150 heures de pose, avec le risque de se découvrir non seulement nu, mais déshabillé par l'intuition perçante de l'artiste.
Homme nu au rat, 1978. |
Peintre au travail, reflet. Autoportrait, 1993. |
Regardez, en haut à droite, le tableau intitulé Deux hommes. Freud était en train de peindre leur portrait en pied lorsque lui est venue l'idée de la sieste pour mieux représenter, je l'imagine, la relation qu'il percevait entre les deux hommes. On est loin des "corps monstrueux ou obscènes, à la chair flasque et aux sexes hypertrophiées que l'amour et la grâce ont désertés". Dans son respect envers le sentiment qui lie ces gars, le peintre figure le nu pour le lien charnel et le personnage habillé pour le lien spirituel; une main les unit dans le sommeil et un détail du pantalon indique que le désir ne dort jamais.
André
1 commentaire:
J'ai une passion pour ce peintre, comme vous probablement. J'ai rarement vu dans les livres le tableau des deux hommes et jamais analysé comme vous le faites en m'apportant une nouvelle compréhension de la capacité visionnaire de Freud. C'est magique.
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