Philippe a répondu à une petite annonce
et s'est pris un sacré rateau. Au fil de la lecture,
vous comprendrez comment et pourquoi.
Salut "Brandon"!
Tu souhaitais rencontrer un mec, même "pas libre", écrivais-tu? J’ai répondu à ton annonce! Et non, je n’ai pas honte... En tout cas beaucoup moins que par le passé. Oui, je suis un mec marié, donc pas libre comme je te l’ai précisé. Un homme qui a des relations sexuelles avec des hommes pour le sexe, un HSH. Car je sais maintenant que ça existe et qu’on n’a pas créé cette catégorie uniquement pour moi… Pas trop honte, disais-je? Je t’avoue que je suis loin de me sentir totalement libre, dégagé et à l’aise dans mon histoire plutôt douloureuse et compliquée (doux euphémismes). Les pénibles réactions que j’éprouve encore à la lecture de tes propos hargneux et de ta morale, tirée à bout portant, en sont la preuve:
touché! Mais pas
coulé! Pourtant je n’ai rien d’un cuirassé…
Oui, toi tu fais partie des braves qui ont osé faire le pas et marchent la tête haute. Moi, pas, pour toutes sortes de raisons qui t’échapperaient sans doute. Disons qu’il m’a déjà été long et difficile de m’avouer
cela à moi-même et surtout d’y mettre des mots. Enfin de l’accepter, sans vouloir me laisser détruire ou le faire payer cher à mon entourage !...
Disons à ma possible décharge que je n’ai jamais été dupe de ce que j’éprouvais, ni enclin à feindre la rude et campagnarde virilité qui aurait été de mise dans mon milieu. Par ailleurs, personne n’aura jamais décelé chez moi la moindre trace d’une attitude homophobe. Parce qu'à côté d’une sexualité
hors norme, la Nature m'a aussi doté de la lucidité qui l'accompagne souvent. Je tiens à le préciser pour m’inscrire en faux contre cette attitude que tu me prêtes abusivement… Laisse-moi au moins cela! Mais c’est vrai, les mots qui m’auraient fait sortir
du placard n’ont jamais pu monter jusqu’à mes lèvres et sont restés étranglés dans ma gorge, étreignant ce souffle qui aurait pu les porter dehors…
Je précise (perfidement) que, contrairement à certains, si fiers de leur
coming out, je n’ai jamais eu la (mal)chance de me faire pincer en flagrante hérésie… Oui, je sais que certains donneurs de leçons actuels ne sont sortis de leur placard que parce qu’ils s’y sont fait surprendre, autrefois…
Alors voilà, "Brandon ", il y a probablement du vrai dans tes remarques. J’en prends la part qui me revient et vais tenter de l’accepter, comme je dois aussi accepter tout le reste… Que ma vie n’aura été que ce qu’elle est, pleine de doutes, de peurs, d’angoisses, de fatigues, d’espoirs fracassés… et de honte aussi... Avec parfois l’envie de prendre un raccourci pour arriver plus vite au bout de tout cela. Donc oui, l’Enfer existe. Et il n’est nulle part ailleurs que dans cette vie et sur cette Terre… Et ce n’est sûrement pas dans le jardin des autres qu’il est à chercher, comme l’a dit Jean-Paul le Surfait !
Et accepter aussi que ma vie aura été une découverte, un chemin non tracé et sans but… Rien d’autre que cela. Accepter alors cette simple évidence: sur un chemin, qui ne mène nulle part, tout raccourci serait absurde… Dès lors, avec le temps, ce
rien d’autre que cela m’apparaît certains jours comme un Tout, très plein, cohérent et productif. Comme si un ami me soufflait à l’oreille: "T’occupe donc pas d’où tu vas, ni d’où tu viens, Philippe! Avance et tâche de garder les yeux et l’esprit ouverts. Regarde et goûte ce qui se présente à toi… sans préjugés."
N’attendre rien, n’exclure rien -- pas même les mouches et les araignées! Accepter de ne pas savoir; de ne pas pouvoir; de ne plus maîtriser. Accepter de rendre les rênes et de se laisser porter, emporter en toute
conscience et, peut-être même,
confiance… Accepter d'apprendre que, si les pas de l’amour et ceux du désir se croisent parfois, il peut aussi leur arriver de ne pas se superposer indéfiniment. Reste pourtant ici l’amour et reste aussi le désir, mais peut-être ailleurs !...
Accepter enfin que le Paradis est aussi sur cette Terre et le découvrir dans le regard des autres, de ma femme et de nos enfants, dans la joie. Cette joie encore sans mélange à la vue du tout petit dernier fraîchement débarqué dans ce monde. Dans le regard de ceux qui chantent à mes côtés et du pianiste qui m'accompagne. Dans celui d’un ami... ou d’un amant! Et même dans les yeux de cet âne, à la clôture de son pré, avec son nez si doux et son souffle tiède, semblant quêter de la tendresse au creux de ma main, ce soir d’hiver où j'en avais pourtant si peu pour moi-même…
Accepter tout et ne garder rien… Me vider totalement et, peut-être, me remplir à nouveau. La grande respiration de la Vie… Celle par laquelle je nous souhaite à tous deux, "Brandon" d’arriver à nous laisser porter… un jour. Bonne chance dans ta quête…
Philippe