Le week-end, si vous voyagiez dans un train suisse, vous pourriez imaginer qu'une guerre se prépare, mais molo comme il sied en Helvétie. On croise des soldats, jeunes recrues et réguliers de la milice qui se rendent en permission ou en reviennent. L'autre matin, la bande qui s'est installée autour de moi n'était pas bavarde. Je leur ai demandé s'ils étaient mal réveillés à cause d'un exercice de nuit. Non, ils avaient veillé au bistrot. C'est un endroit important pour la défense de notre pays.
Le gars assis en face de moi a déposé son fusil d'assaut, crosse repliée, sous la banquette. Un SIG 550 Fass 90 made in Switzerland, aussi précis que les montres ce qui terrorise les ennemis potentiels. Au cas où ce joujou vous intéresserait, la version indigène est conçue pour du 5,6mm alors que le SIG export enfourne du 5,56. La différence est cruciale pour empêcher l'ennemi de nous faucher nos armes. Je mentionne en passant que le pouvoir politique du peuple suisse se situe au-dessus de celui du ministre de la guerre; en votant, nous venons de lui interdire d'acheter les 22 nouveaux avions de combat que l'armée jugeait nécessaires.
Pourquoi le soldat emportait-il son arme chez lui où il allait passer le week-end? Dans l'intention de chasser le gibier ou d'attaquer une banque? "Non!" Pour participer à un concours de tir au village? "Non plus!" Pour tuer le père comme doit le faire tout jeune homme qui veut construire son identité -- vous savez, Oedipe... et Freud? "J'ai pas le temps de lire les journaux au militaire, je savais pas que ces deux hommes avaient tué leur paternel!" La bonne réponse: ces gars changeaient de caserne et devaient transporter leur arme.
Je me rendais dans la petite ville de Solothurn (Soleure en français, Soletta en italien, Soloturn en
romanche) pour profiter des Journées littéraires où quelque 80 romancières, auteurs, poètes et traductrices de neuf pays allaient lire quelques pages de leur oeuvre la plus récente. Je me réjouissais d'assister à la remise d'un prix littéraire à trois auteurs gays [on en reparlera]; de faire connaissance avec les textes, la gueule et le gueuloir d'auteurs que je ne connaissais pas encore. Et j'étais curieux de ce qui se dirait au cours de trois ateliers sur "l'avenir du livre".
Premier atelier avec Chris Meade de l'institut Future of the Book à Londres. Cette année, la toile (world wide web) fête son 25e anniversaire, dit-il. Nous nous relions à diverses communautés en ligne, mais nous avons aussi besoin d'espaces publics réels pour nous rencontrer, discuter et penser alors que les librairies et les bibliothèques publiques se font rares. "Je vois l'écrivain du futur comme un chamane qui se fraie un chemin à travers une contrée à la fois réelle et virtuelle et opère de la magie en mobilisant tous les moyens nécessaires pour comprendre notre quotidien et nous transporter vers des lieux palpitants." Face au chercheur anglais, une romancière parisienne (arrivée en retard et qui cache son angoisse existentielle derrière une frange) devait donner son point de vue de créatrice. Elle parle des nouveaux moyens de communication dans son quotidien, de son portable qu'elle pose à côté d'elle lorsqu'elle écrit et qui l'interrompt toutes les cinq minutes...
Le lendemain en buvant mon café, je constate que la femme en face de moi lit un roman de cette dame et l'annote. (C'est l'odyssée d'une dysfonction soigneusement entretenue. Roman loué par la critique.) Je demande à la lectrice si elle l'apprécie. (En piquant n'importe quel paragraphe j'étais tombé sur des descriptions de vêtements avec une tartinée de mots superflus.) Elle me répond: "J'ai un peu de peine à m'exprimer, je suis sa traductrice en allemand. J'ai rendez-vous avec elle, mais elle n'arrive pas." Je lui avoue que les romans français me tombent des pattes tandis que les allemands me passionnent. La traductrice réfléchit. "Dans un livre plein du malaise de ses personnages, un auteur germanique inscrirait des ruptures d'humour, même si cet humour était très noir." Le téléphone nous interrompt, c'est la romancière. Elle se trouve à l'intérieur du bistrot alors que nous sommes assis à la terrasse. La vie des nanas est si compliquée...
André
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