Un petit village du Jura suisse, Bellas Aquas en latin, à quelques kilomètres de la frontière française. La "peuffe" (le brouillard) s'est dissipée, dévoilant un ciel d'hiver, étincelant. Direction la Grande salle. Les tables ont été dressées pour 85 convives, les bouquets disposés dans des courges creusées. C'était hier à midi; nous étions réunis pour fêter le 70e anniversaire de l'un de mes cousins et les 40 ans qu'il a passés avec son épouse. Première étape: les retrouvailles pendant l'apéritif. Les Vaudois du temps passé, lorsqu'ils n'avaient plus tout l'arbre généalogique en tête, demandaient: "Et toi, tu es à qui?"
Si je connais la génération qui m'a précédé et la mienne, j'ai rarement rencontré les représentants de la lignée suivante et jamais les viennent-ensuite. Nos grand-parents communs, Elise et Isaac, tous deux nés en 1871, avaient engendré très bibliquement treize enfants, dont ma mère après cinq garçons. Des treize, huit ont atteint l'âge adulte et leur postérité s'élève à trente-six; ma fratrie est composée de cinq filles et garçons, ce qui me laisse 31 cousines et cousins, dont celui que nous fêtions. Les descendants des trente-six sont au nombre de cent, tout rond. Et ainsi de suite... Notre rassemblement d'hier était donc une rencontre en petit comité!
Sur les tables, en plus des fleurs et des couverts, les organisatrices avaient distribué la photocopie des cantiques que nous allions chanter au cours du repas. Cette famille est fortement imprégnée de religion, une foi de communauté aussi close que le monastère -- ce que l'extérieur classe comme secte protestante (importée de Plymouth, en Angleterre, au milieu du XIXe siècle). Et je souris chaque fois que, pour un anniversaire, un mariage ou un enterrement, je me trouve confronté aux mêmes hymnes. Ils les connaissent par coeur à force de les entonner comme on prend son sédatif. La cousine germaine en face de moi ressemblait à une poule hypnotisée en chantant "Si nous devons un jour quitter ces lieux bénis..."
Chaque ramification des religions importantes de la planète [la scientologie n'en est pas une] a reçu en héritage une pincée de sens en même temps qu'un plein seillon de merde. Aux in/fidèles de trier. Pendant que nous chantions, j'observais la noble assistance et me demandait qui obéissait encore aveuglement (ou par paresse) aux diktats de la secte et qui s'était émancipé/e. Certains parmi nous se sont enfermés dans un système encore plus rigoureux -- les purs parmi les purs -- alors que d'autres ont pris le large. Samedi, nous respections une trêve provisoire; tout le monde murmurait la même rengaine. "Si nous devons un jour quitter ces lieux bénis, Nous nous retrouverons Là-Haut pour toujours réunis." N'ayant aucun plan pour l'avenir, j'étais heureux de passer ce bel après-midi d'automne sur les branches de l'arbre généalogique. En me rappelant que Dieu nous a donné les amis pour se faire pardonner d'avoir créé la famille.
|| Ulysse
La maison où Elise et Isaac ont élevé leurs treize enfants.
2 commentaires:
Super ton article Ulysse, quand à mon arbre généalogique, peu de branches sont encore vivantes.
Ton pote, Dan
Une religion n'est-elle pas une secte ki a réussi ?
La scientologie a telle encore des galons a obtenir pr être reconnu ?
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