Les 34e Journées littéraires de Soleure se sont achevées hier. Les cent auteurs qui ont lu un chapitre de leur bouquin le plus récent ont été questionnés cette année sur le "baiser de la muse". L'Aar, rivière plate qui traverse Soleure m'a fait cadeau de cette image: l'envol soudain d'une vingtaine de cygnes sur une injonction aussi mystérieuse que l'inspiration des écrivains. Où se rendaient-ils et pourquoi?
À Soleure, toutes les heures, vous avez le choix entre deux ou trois lectures, un séminaire autour de la traduction ou une rencontre sur le rôle des auteurs et les difficultés qu'ils rencontrent. Hôtes d'honneur, Alexandra Chreiteh (25 ans) de Beyrouth, Nihad Siris d'Alep (Syrie) et l'Égyptien Esat al-Kamhawi ont exposé leurs points de vue. Ils ont surtout défini la place de la littérature contemporaine dans leurs monde. Une langue commune, l'arabe classique, vieille de 1400 ans, qui a été modernisée au début du siècle dernier, avec des variations. Les dialectes régionaux: ce que l'on parle et comprend. Et le choix pour les auteurs d'écrire classique ou régional, parfois en mélangeant.
Alexandra Chreiteh, actuellement à Tübingen, pense en dialecte puis traduit en classique -- comme certains auteurs (suisses) alémaniques. Le problème, c'est que pour narrer le quotidien
Sex in the City de jeunes nanas libanaise (dans
Always Coca-Cola), elle se trouve plus à l'aise dans la langue locale, alors que le vocabulaire classique convient mieux pour traiter d'autres thèmes. À la question (bidon) "quand publiera-t-on les grands romans sur le Printemps arabe?" le Syrien qui a déménagé en Égypte répond que les thèmes importants (corruption, droits égaux, nouvelle société...) ont déjà été traités. L'Égyptien (
Bait al-Dîb -- La Famille Al-Dîb) qui réside actuellement au Qatar, sait que cela prendra beaucoup de temps. Les jeunes générations doivent d'abord inventer une "démocratie" à leur convenance et faire l'apprentissage du politique.
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Miniature perse: Shah Abbas embrassant son échanson. |
Je pensais à mes jeunes soeurs et frères LGBT arabes, en quête d'un monde plus juste... J'ai participé à la lutte en faveur de l'égalité des droits en Amérique et en Europe occidentale à partir des années 1960. Montagnes russes: freins terribles et avancées inattendues... L'essentiel: préparer le terrain et bondir lorsque l'occasion se présente. Un aspect que nous Occidentaux avons souvent négligé: être solidaires des autres causes. De temps en temps, on bénéficie aussi de la réciprocité...
"J'ai quitté les filles pour les garçons
Et, pour le vin vieux, j'ai laissé l'eau claire."
Et puis, mes frères, étudiez votre littérature classique! Relisez par exemple le poète arabo-persan Abû Nuwâs qui au 8
e siècle glorifiait le vin, les femmes libertines, la beauté des jeunes hommes et craignait la mort. Aujourd'hui, on vous dit que l'homosexualité est un vice importé de l'Occident. Il fut un jour où les Occidentaux découvraient la liberté sexuelle dans vos pays et en revenaient avec des récits enthousiastes, colorés par leurs fantasmes...
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Lebogang Mashile: poétesse, actrice, danseuse. |
Sachez aussi, alors que vous êtes écrasés par la morale de l'aile fondamentaliste, que des jeunes lesbiennes et gays américains sont jetés à la rue par leurs parents, envoyés dans des institutions de rééducation qui les maltraitent pour les "guérir". Que le plus important employeur de LGBT au monde, le pape -- esclavagiste aussi dur que ceux du Golfe, questions salaire et conditions de travail -- continue à nous combattre. Que les protestants fondamentalistes des États-Unis -- les nouveaux Croisés -- sont prêts à écraser le monde entier pour imposer leur morale, mais n'y parviendront pas si nous visons la paix et non la guerre qu'ils recherchent.
Hier, après avoir entendu les traducteurs en anglais (dialecte de Glasgow), italien, espagnol, français et allemand d'un texte écrit en dialecte alémanique. Après les explications des auteurs arabes. J'ai pleuré en écoutant la poétesse Lebogang Mashile d'Afrique du Sud, l'une des plus grandes, rythmer son texte avec la fraîcheur d'une improvisation. Cela parle d'identité, de genre, de spiritualité et de combat. Avec la générosité, la chaleur et la force que seule une femme peut dégager. Je le lui ai dit sans savoir quelle grande personnalité elle était. Elle m'a serré sur son coeur. Elle était étonnée qu'un homme, etc... Je lui ai expliqué que j'avais partagé ce combat, bien sûr à un niveau de risque inférieur, et elle m'a serré plus fort encore. Regardez-la, écoutez-la. Des femmes rayonnantes, intelligentes comme elle vont transformer l'Afrique, le monde, les galaxies.
André