Vieux couillon penché sur son passé -- 3
Les vacances dans un lieu où l'on pouvait laisser tomber le masque 24h sur 24 étaient des expériences rares et précieuses, il y a un demi-siècle. Après le récit commencé là je reviens à ma trentième année, celle où je devais prendre une décision finale. Ce sont des courants tour à tour conscients ou non qui dirigent nos vies et il s'est trouvé que j'avais choisi de passer dix jours à Amsterdam en mai 1966.À l'époque, l'information sur les lieux accueillants circulait de façon souterraine. On vivait d'ouï-dire. En me promenant dans la ville, je suis tombé en arrêt devant une vitrine exposant des photos de culturistes quasi nus. J'ai acheté un magazine et me suis renseigné. Puis me suis rendu dans un sauna où l'employé m'a refusé l'entrée. Sans carte d'identité, je ne pouvais prouver que j'avais 20 ans résolus...
Il m'a indiqué la voie à suivre. Une boîte à danser où je me suis présenté muni du passeport. Tout a été dûment noté sur le fichier et sur ma carte de membre: j'étais désormais un homosexuel enregistré à l'échelle internationale. La grande surprise fut de contempler ces hommes qui dansaient en couples, fox-trot, cha-cha, valse etc. Il manquait des jupes virevoltantes. Détail que j'ai vite oublié en me lançant sur la piste avec un inconnu.
J'ai déménagé dans un hôtel gay qui m'a procuré l'argument imparable pour draguer chaque nuit en dansant: "J'ai un lit français; et le petit-déj pour deux est compris dans le prix, servi en chambre. Ce serait dommage de gaspiller la nourriture..." Pour les gars qui avaient connu la disette d'après-guerre, cette entrée en matière était aussi irrésistible que mon charme. La plupart du temps, les choses sérieuses se passaient au réveil et le café refroidissait. Car si je tombais sur un touriste/pèlerin, il avait comme moi passé la veille dans les musées, puis au sauna...
Résultat des courses: je suis retourné tous les quatre ou cinq mois à Amsterdam. Et entré en rapport avec des gars beaux ou moins beaux, passionnants à connaître et d'autant plus prêts à se déboutonner que nous vivions une brève rencontre... J'ai ainsi passé 72 heures de corps-accord avec un comédien de vaudeville belge. Notre rencontre a eu lieu à l'aveugle dans un sauna, un dimanche d'août ensoleillé. L'établissement était plein à en exploser, des chaussures jusqu'à l'entrée comme dans une mosquée. Lorsqu'un type sortait de la cabine surchauffée, un seul pouvait y entrer tellement elle était bondée. Un four à croques-monsieur qui fondaient les uns sur les autres... J'ai circulé à vélo dans de petits villages avec un producteur de radio néerlandais... En se réveillant dans ma chambre, un danseur de la troupe du Koninklijk Theater Carré (music-hall) s'est précipité vers le miroir pour scruter son visage. Nous avions 30 ans et l'idée ne m'était jamais venue d'inspecter "des ans l'irréparable outrage"... Un acheteur de mode pour Neiman Marcus à Dallas (le top du luxe) qui dansait divinement et virilement la valse, habillé en marin, m'a proposé au petit matin de le suivre au Texas...
Un ancien agent de la CIA au Liban, cadre dans une grande agence de pub américaine, m'avait d'abord accompagné à mon hôtel miteux, mais les trous au mur le rendaient schizo, il se sentait espionné. Nous avons gagné sa chambre au Hilton avant l'aurore. Il m'a fait rencontrer son patron et le réd en chef de Vogue à New York car, entre temps, j'avais traversé la Chine en train et ramené un reportage photographique sur la Révolution culturelle. Un tel voyage était tabou aux USA...
J'ai aussi donné la réplique, au lit, en lisant le dialogue d'une comédie musicale que mon partenaire du moment écrivait. Les chansons étaient déjà enregistrées et il les passait sur son magnéto... En mai 68, je me baladais avec un Parisien qui s'était réfugié à Amsterdam, ne supportant plus les manifs dans son quartier. Il voit un copain, rédacteur de mode, en plein procès-verbal dans sa voiture avec un flic néerlandais -- le flic sur le siège avant, le Français à l'arrière essayant de s'expliquer en anglais. Se tournant vers nous, il lâche, très grande dame: "Il est tellement mignon ce flic que s'il se retourne, je l'embrasse!" Le policier se tourne et sourit: "Merci Monsieur!" Tel était le paradis amstellodamois.
André -- Photos de Jim Ferringer dans sa série Rêves et autres mystères.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire