La nudité virile a été mise en valeur, puis cachée, puis de nouveau
révélée au fur et à mesure des civilisations. L'homme objet est
maintenant en pleine floraison ce qui n'est pas pour nous déplaire. Les
photographes gays qui travaillaient pour la mode et la pub dans les
années 1980 ont, selon Bruce Weber, l'un d'entre eux, extrait le mâle de
son pantalon de flanelle grise pour le présenter dans son slip, très
près du corps. Avant lui, Dieu avait fait mieux en modelant Adam dans la
glaise, sans le vêtir. Si l'on contemple la statuaire antique et la
plupart des oeuvres d'art qui ont constellé l'ère chrétienne, le sexe
mâle représenté à poil était en-dessous de sa taille. C'est seulement
après mai '68 que peintres et photographes l'ont honoré dans ses
dimensions réelles.
Chez certains jeunes hommes, la beauté sera passagère. Chez
d'autres, la
délicieuse fraîcheur de la jeunesse évoluera vers une harmonieuse
assurance, plus virile encore. Quelques beaux
gosses tenteront d'éterniser leur état avec l'aide de la chirurgie.
Enfin, de nombreux gars parmi nous valent plus que
leur apparence. Si notre oeil est en accord avec notre intelligence et
notre coeur, il sait apprécier la beauté qui se dégage de leur personne
et se manifeste
généreusement.
Revenant à mes souvenirs de jeunesse, je sais qu'à cet âge on est en
pleine appétence et impatience mâle, ce besoin de baise et d'amour.
Actuellement encore, les fringants jeunes gays sont en danger dans de
nombreux pays. En occident, ce sont les gars élevés dans l'étroitesse
d'une religion ou d'une famille qui rencontrent le plus de difficultés.
Puisqu'on évoque la religion, voilà ce qu'écrit le prophète Isaïe vers
le VI
e
siècle avant notre ère, dans une période d'exil: "J'ai présenté le dos à
ceux qui me frappaient, et les deux joues à ceux qui me tiraient la
barbe, je n'ai pas soustrait mon visage aux outrages, aux crachats..."
Ce pourrait être une scène de sortie de boîte, la nuit. Le racisme,
l'homophobie, la transphobie, la haine pure: beaucoup connaissent cette
violence. À cause de la couleur de leur peau, de leur religion, de leur
orientation sexuelle ou de leur corps vulnérable.
Comment ceux qui ont connu des victoires au fur et à mesure de
l'évolution de la société peuvent-ils les soutenir ? Je suis un vieux
privilégié. Tout en demeurant indifférente (donc méprisante) aux aléas
de mon engagement pour la cause gay, ma famille ne m'a pas chassé. J'ai
connu le meurtre, le suicide, le sida, le cancer dont ont été victimes
de chers camarades, mais je n'ai pas flanché: un chromosome d'endurance
que m'a transmis mon père. Après mai '68, j'ai profité des nouvelles
possibilités qui s'offraient pour m'initier au massage du corps entier, à
la méditation, à la sexualité dite tantrique, à la masturbation
consciente qui vous projette au 4
e
ciel, au soufisme par la danse des derviches tourneurs héritée du poète
mystique Rumi, et à plusieurs autres techniques pour aboutir à la
médiumnité, au chamanisme.
Je suis né avant la Deuxième guerre mondiale. Aujourd'hui, lorsqu'on
parle des horreurs de cette époque et de la shoa, c'est comme si l'on
évoquait les conquêtes de Jules César. De la pandémie du sida, cela
n'intéresse pas, pourtant ce fut un désastre sanitaire mondial. Et, au
début, l'occasion de nous mettre encore plus de côté, ce qui nous a
appris à lutter malgré les dangers et les deuils. Alors, comment
expliquer aux jeunes qui s'opposent au vaccin contre le covid pour cause
de "liberté individuelle" et de lutte contre un État "toujours plus
restrictif" ? Comment leur dire qu'ils devraient sortir de leur
egocentrisme, relever le nez du petit rectangle qu'ils ne quittent
jamais afin de se mettre en perspective et de comprendre ce qui se
produit aujourd'hui ? C'est la tâche des aînés...
André