dimanche 5 juin 2022

Chris et Don (2) : l'écrivain a servi de modèle jusqu'à sa mort

(Suite de la semaine passée)

Les tableaux de Don Bachardy: tous...


...d'après un modèle vivant.


Bachardy et Isherwood chez eux: œuvre de David Hockney.

On peut être gay, jouir des avantages sentimentaux et sexuels qu'offre cette orientation tout en s'impliquant dans un mode de vie utile à son prochain. Aux États-Unis dès 1939, Christopher Isherwood -- qui a vécu la montée du nazisme à Berlin -- devient un pacifiste. Il collabore à l'hébergement de réfugiés allemands chez les Quakers. Puis il s'installe à Hollywood, où il travaille à la rédaction de scénarios. Il rencontre le swami indien Prabhavananda, moine à la tête de la Société Védanta de Californie du Sud et envisage de devenir moine lui-même. Avec le swami, il travaille à une traduction de la Bhagavad Gita, un des écrits fondamentaux de l'hindouisme. Il rédige aussi une biographie de Râmakrishna. Finalement, il renonce à prononcer les vœux monastiques.

Don rencontre des vedettes.


Chris et Don, fin des années 1970.

Parmi les émigrés qui résident en Californie, Isherwood fréquente Thomas Mann (l'auteur de Mort à Venise) et son frère Heinrich, le couple Stravinsky, Greta Garbo, le couple Chaplin, Bertolt Brecht (je mentionne ceux dont je connais la carrière). Après une relation chahutée de cinq ans avec le photographe William Caskey, l'écrivain (dorénavant anglo-américain) rencontre en 1953 le jeune Don Bachardy qui deviendra l'amour de sa vie. Passionnés de cinéma, Don, sa mère et son frère avaient l'habitude de se glisser dans les premières de films réservées aux célébrités. Pour passer inaperçus, ils s'habillaient de manière élégante. Le jeune homme avait suivi des études supérieures avec succès et travaillait sur le marché des légumes à Hollywood lorsqu'il a fait connaissance de Chris. Ce dernier l'a poussé à développer son talent de dessinateur. C'est ainsi qu'il a commencé à faire le portrait des amis d'Isherwood et de nombreuses étoiles du cinéma.


Leur relation que les deux hommes voulaient ouverte a traversé des étapes délicates lorsque Don fréquentait d'autres gars, comme pour rattraper le score des aventures que Chris avait connues avant leur rencontre. Isherwood souffrait de jalousie et de solitude bien qu'il accepte la situation. Dans son journal, il a écrit : "Ne cherche pas à rendre ta relation exclusive. Rends-la si spéciale que personne ne puisse la remplacer, même en cas de liaison avec ton compagnon." Ces expériences ont inspiré l'écriture de "Un homme au singulier" (A Single Man), roman qui m'a préparé au meurtre de Noël, mon grand amour, quelques années plus tard. George, un prof anglais enseigne en Californie. Il a perdu son boyfriend, tué dans un accident de la route. Comment continuer à vivre après pareil drame alors qu'on ne peut pas en parler à son entourage car, en plus de l'homosexualité, il y a le tabou de la mort. George est un individualiste dans un monde conformiste. Néanmoins, il traverse chaque jour des intermèdes drôles ou des rencontres que l'on peut transmuer en consolation. Ce chef d’œuvre sarcastique a inspiré Tom Ford qui en a réalisé un film. Je ne l'ai pas vu.



Montgomery Clift.



La vie des deux compagnons a repris, une fois l'harmonie retrouvée, et ils ont partagé avec de nombreux amis un genre de projet artistique qui est devenu le modèle pour de nombreux gays qui recherchaient un partenariat à longue échéance, en même temps qu'une ouverture vers une nouvelle liberté. Isherwood a écrit d'autres romans et récits romancés. Bachardy a continué à le peindre et le dessiner. Durant la maladie fatale de l'écrivain, l'artiste l'a peint ou dessiné presque chaque jour, et onze fois encore après sa mort.
 

Christopher Isherwood, le 16 juillet 1985.


Le 2 septembre 1985.


Le 19 octobre 1985.


Le 2 janvier 1986.


Le photographe JJ Geiger, qui consacre ses reportages principalement à la vie des LGBTQ+ aux États-Unis déclare: "À nous les queer, on nous dit que nous pouvons choisir notre famille. Chris et Don ont été mes pères, mes modèles, sans qu'ils le sachent. Ils font partie de cette longue lignée de gars qui ne sauront jamais qu'ils ont créé une aussi grande famille." "Pour un petit mec élevé dans une famille à divorces multiples, l'amour entre Chris et Don a été une balise, mon modèle de relation à long terme. Cela à une époque où être gay et, de plus, hors du placard était encore un crime. Ces deux hommes m'ont inspiré en ce qui concerne l'art, l'attachement à mon compagnon et, bien sûr, la fascination que représente pour nous le corps mâle."

André.













3 commentaires:

tipol a dit…

un beau témoignage d'amour dans une époque bien difficile pour les gays. Et les aquarelles sont très personnelles et originales dans leur style. Merci André de nous les faire découvrir. Je ne connaissais pas !

david jean-félix a dit…

C'est une belle histoire, même si je trouve un peu glauque les dessin de l'écrivain alors qu'il mourrait.

Xersex a dit…

Vraiment interessant!