mercredi 11 novembre 2009

La souffrance des mecs face à la religion


L
es films israéliens qui parviennent jusqu'à nous frappent par leur liberté de ton, leur capacité de traiter les problèmes de société par le biais d'une vie privée, en donnant au spectateur la possibilité de s'identifier, même s'il nourrit des préjugés contre ce pays en pleine crise d'adolescence prolongée. Hier j'ai vu The Bubble d'Eytan Fox [séance de rattrapage, j'y reviendrai] et aujourd'hui Tu n'aimeras point [traduction
stupide pour Eyes Wide Open].

Eyes Wide Open (= Les Yeux grands ouverts), premier long métrage de Haïm Tabakman, raconte quelques semaines de la vie d'Aaron Fleischmann [l'homme de la chair ou de la viande -- nomen est omen...] qui vient de reprendre la boucherie casher de son père dans le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem. Pour le seconder il engage Ezri, jeune étudiant talmudique, et le loge dans le magasin. La méfiance entre eux fait bientôt place à la curiosité, à l'affection, au désir... Aaron, homme très pieux, bon époux et père, déclare à Ezri qui s'approche pour l'embrasser: "Retiens-toi! Nous avons la capacité de nous élever; de remplir notre mission dans ce monde. Cette épreuve ne nous serait pas envoyée si nous ne pouvions pas la surmonter." Car c'est dans la nature de Dieu d'offrir des exercices spirituels... Sauf que la chair est plus forte... Lorsqu'Aaron est mis au pied du mur par ses coréligionaires menaçants et son rabbin, il reconnaît la puissance de l'amour: "J'étais mort, maintenant je revis." Et dans un moment de vérité empreint de délicatesse envers son épouse, il admet sa faiblesse, en silence.

Le réalisateur décrit le milieu religieux avec respect et lucidité -- et c'est fascinant. Il en fait de même pour l'amour qui brûle ces deux hommes et les vivifie, que
ce soit dans la chambre froide de la boucherie, lors d'un bain purificateur en plein air, ou au lit. Nous passons subtilement d'un monde à l'autre; ils sont irréconciliables pour les juifs orthodoxes... Haïm Tabakman place le spectateur à la croisée du "pur" et de "l'impur". A chacun de décider où ces éléments se situent. Le film est clair à ce sujet: la liberté de choisir est lourde de conséquences. Et la dernière image me laisse... le bec dans l'eau.

Je suis non-croyant; je respecte la foi des gens qui me respectent. Je pense que l'appartenance à un système religieux ou éthique fait partie des besoins humains de base. [Et me demande ce qui conduit beaucoup d'athées à dénigrer la foi; ce doit être une fixation sur un démêlé ancien, non résolu... Une rigidité que je m'efforce de désarmer en moi.] J'ai connu des hommes mariés (et/ou religieux) amoureux, j'ai vu leur désir, leur souffrance et leur difficulté à envisager leur existence les yeux grands ouverts face à l'inconciliable (selon eux): la famille hétéro (et/ou la foi) d'une part, leur homosexualité de l'autre. Ce film éclaire le dilemme de manière magistrale et poignante.

Ulysse

2 commentaires:

Zach, juif et gay, a dit…

Les juifs religieux se sont toujours désolidarisés des homosexuels morts dans les camps de concentration.

Fabienne a dit…

Le film décrit avec délicatesse le combat que mène Aaron contre lui-même. Il se juge pour le désir qu'Ezri a fait naître en lui et l'on sent sa solitude d'homme abandonné de son Dieu. Et en même temps, il sent une nouvelle vie naître en lui grâce à ce nouvel amour. Tout ce en quoi il croit, sa religion, son couple est chamboulé. Pas détruit, chamboulé. Eyes Wide Open me permet de prendre au sérieux le dilemme des lesbiennes et homos élevés dans la religion que je trouvais ridicule.