Devant nos yeux, en direct, le naufrage du paquebot "Italie" (d'autres pays suivront)

Le naufrage du Costa Concordia, vendredi soir, c'est d'abord un traumatisme important dans la vie -- sauvée ou passée -- des 4229 personnes qui se trouvaient à bord. Mais pour nous spectateurs, au-delà du voyeurisme, si nous voulons bien y réfléchir, cet accident présente une puissante allégorie de ce qui est en train de se produire dans de nombreux pays.

L'allégorie est la représentation symbolique d'une idée. Ici, l'idée serait que le paquebot "Italie" de Silvio Berlusconi est aussi en train de sombrer pendant que le commandant de bord continue à faire bunga bunga devant les caméras. En poussant plus loin, nous pouvons imaginer des vaisseaux portant les noms d'autres pays (sur le pourtour de la Méditerranée, ou ailleurs) s'enfonçant tout près du rivage, après avoir pris un risque signalé depuis longtemps sur les cartes... Mais là s'arrête la métaphore. Car le commandant du Costa Concordia et son second ont été immédiatement arrêtés. Tandis que la plupart des chefs d'État coupables de gestion politique scandaleuse, d'exactions, d'extorsions, de crimes généralisés et de guerres courent toujours -- à part le raïs égyptien.

Le Costa Concordia, si près de la terre ferme...

Cher lecteur, permets-moi de développer cette allégorie. Elle est tellement frappante -- prégnante dirait-on en allemand... Un équipage d'un millier de personnes se tient au service de trois mille passagers; se décarcasse jour et nuit pour les mener d'un lieu d'excursion à un autre; pour les nourrir et les faire boire du lever au coucher tardif; les divertir, les masser, faire s'exercer s'ils le veulent; pour nettoyer lorsqu'ils s'absentent et soigner leurs bobos... La galère. Salaires minimums pour une grande partie du personnel venu des Philippines ou d'ailleurs. Des gens surmenés, sans temps libre appréciable, logés dans des conditions de bunker. Fin de croisière un matin, départ d'une nouvelle fournée de clients le soir.

L'esclavage des temps moderne. Ce que connaissent aussi beaucoup de gens à terre, s'ils ont le "privilège" d'exercer un emploi (5,4 millions de chômeurs en Espagne actuellement). Et, parallèlement, ces trois mille touristes venus avec leurs plus beaux atours à montrer le soir, et une idée fixe: profiter. Ne pas penser à ce qui rend possible une croisière fastueuse à un prix aussi bas. Faire une confiance aveugle aux instruments de navigation modernes et à la capacité de l'équipage de les sauver de n'importe quelle situation. Un équipage mal formé, parce que les patrons mégotent aussi dans ce domaine, afin que les propriétaires et actionnaires puissent profiter.

D'autres naufrages sont annoncés.

Et voilà ce bâtiment monté comme un gâteau de mariage, trop élevé pour rester équilibré, fragile de la coque. Doté de nombreuses piscines et jacuzzi afin que le client évite tout contact avec la mer au-dessus de laquelle il flotte... Mais dans laquelle, pris de panique, il devra plonger. Elle a fini de s'amuser, la croisière, et Madame qui se la jouait Elizabeth Taylor faisant la Cléo avec son Burton boursoufflé. Finie la lune de miel du couple gay qui se rêvait imperator Hadrien navigant avec son jeune amant-dieu Antinoüs, mort noyé lui aussi.

Moi, vieux couillon de trois quarts de siècle, qui ai observé plusieurs fins de monde à l'abri dans la forteresse helvétique -- la fin du nazisme, celle du fascisme (partiellement seulement en Italie et au Japon), l'après-maoïsme, la chute du mur de Berlin, la fin des lois criminalisant l'orientation homosexuelle dans les pays démocratiques -- qu'est-ce que je fais pour que ce monde survive à sa nouvelle crise? Quel est mon rôle; et le tien, cher lecteur?

André