mardi 8 mai 2012
"Quel chef-d'oeuvre que l'homme... l'animal idéal !" (Hamlet)
Vieux couillon penché sur son passé -- 1
Je suis né un 8 mai à l'aube, il y a 76 ans. Et si vous me demandez quelles sont les étapes ou les épreuves décisives dans la vie d'un homme qui vient de dépasser trois quarts de siècle, je vous répondrai d'abord par celles que je n'ai pas traversées.
Durant la guerre (1939-45) j'étais à l'abri des bombes et de la faim. Quel privilège en Europe! Je n'ai pas connu la grande trouille des petits Turcs entre quatre et huit ans avant le jour de leur circoncision. Je n'ai pas été abusé sexuellement par les invités qui me faisaient du pied sous la table familiale (je me serais défendu). Ni été violé à l'internat où j'étudiais dans un village allemand à l'âge de 15 ans. (Imaginez les batailles d'oreillers: toute la classe partageait un même dortoir, extinction des feux à 21 h! Imaginez la douche chaude collective le samedi à 15h; les autres jours toilette à l'eau froide. Je m'arrangeais pour fixer ma leçon de piano à 15h et partager la douche des grands, tellement plus développés...)
Je n'ai pas eu à choisir ma profession, elle m'a choisi. J'étudiais à Paris. Mon père a souhaité que je travaille durant les vacances d'été. J'ai décroché un stage dans un quotidien: j'imaginais distribuer des dépêches d'un bureau à l'autre. Que nenni: je suis devenu journaliste... Je ne suis pas parti à la guerre en me demandant comment j'en reviendrais... Je n'ai jamais connu l'angoisse du père qui se demande s'il trouvera de quoi nourrir ses enfants le lendemain...
Avant l'âge de sept ans, j'étais au clair sur ma préférence sentimentale, sans connaître les mots pour le dire. À vingt ans, je me suis donné jusqu'à trente pour envisager un changement, s'il se présentait. Le peu qu'on pouvait lire sur le sujet était hautement suspicieux. Cela ne m'empêchait pas de vivre ma vie. De tomber amoureux d'un chirurgien séduisant (père de famille et déjà marié deux fois, ce que j'ignorais). D'être l'amant d'un directeur littéraire parisien, frère d'un ministre, très élégant, précieux, trop bon-chic-bon-genre pour le vacher suisse que je suis... La famille (indifférente) ne se posait pas de question quant à mon célibat; je travaillais dans un milieu qui se targue d'être tolérant; et je voyageais à travers le monde. En Afrique noire; en train jusqu'en Chine; en bus à travers les États-Unis; traversant l'Asie d'Est en Ouest; l'Amérique du Sud... Je me suis sédentarisé à cause de Noël, jeune ingénieur chimiste qui travaillait à son doctorat. Un soir en faisant les marchés de New Delhi pour acheter des timbres dignes de sa collection, j'ai compris que j'étais amoureux fou de lui. Quelques voyages plus tard, dont un qui faillit se terminer dans un avion en plein vol, il m'a semblé que j'avais atteint la limite des kilomètres sans accident. Il était temps de me consacrer à notre vie commune. Et j'ai trouvé un emploi fixe.
J'étais au mitan de la vie, pourtant encore loin de la maturité. J'avais beaucoup bougé, beaucoup vu. Mais l'amour et la mort ne m'avaient pas encore appris leurs belles et les graves leçons. Je vivais ma première passion. "What a piece of work is a man," écrit Shakespeare dans Hamlet, acte 2, scène 2. "Quel chef-d'oeuvre que l'homme! Qu'il est noble dans sa raison, qu'il est infini dans ses facultés! Dans sa force et ses mouvements comme il est expressif et admirable! Par l'action, semblable à un ange, par la pensée semblable à un dieu! C'est la beauté du monde, l'animal idéal..." Puis Hamlet se contredit, comme pour embrouiller les espions du roi. Moi, je ne renierai jamais ma fascination!
André
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6 commentaires:
Alors un très bel anniversaire, à toi André, qui sait très bien d'ailleurs, que ce jour n'est finalement que le premier de tous ceux qui te restent à vivre... avec leurs "belles et graves expériences" (et peut-être "douces" aussi !)
Et merci pour tout ce que tu nous donnes à partager dans les pages de ton blog.
Philippe
Quel beau texte, plein de je ne sais quoi qui me parle.
Bon anniversaire.
Un grand anniversaire à toi ! Et c'est toi qui nous fais un cadeau , comme tout les jours . Tes billets sont merveilleux,un regal à lire chaque fois.
Alors oui: Bon Anniversaire ANDRE
@ +
Jimy
Bon anniversaire du "oui, mais..."
Merci pour ce texte qui me touche.
Je vous lis réguliérement depuis quelques mois, chaque fois avec plaisir.
Permetez-moi de vous présenter mes meilleurs voeux à l'occasion de cet anniversaire : Harmonie, Joie, Paix et Amour sur votre Chemin.
A vous lire, avec mes sincères salutations.
Serge
bonjour, je me précipite tous les jours sur vos textes tant ils me plaisent et me divertissent! Je ne sais pas si vous avez la même passion que moi pour les trains, mais je suis aussi allé à Hong-Kong par le train depuis le Jura, en 1983. J'en garde un souvenir inoubliable et serais prêt à le refaire.
Merci pour la qualité de votre blog.
Michel
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