L'esprit d'équipe des sportifs, sans fausse pudeur.
Je suis né dans un famille fondamentaliste. Le lieu de culte de cette
secte s'appelait L'Assemblée des Frères; il rassemblait les mâles entre
eux aux premiers rangs. Les femmes, toutes chapeautées, parquées
derrière. Pas de pasteur professionnel, mais des "Frères à l'Oeuvre" qui
me faisaient chier avec leurs homélies moralisatrices. Petit garçon au
côté de mon père, je ne fermais pas les yeux durant les prières -- toujours debout -- et j'observais les adultes. Ces "frères" affectaient
des airs sérieux et l'ennui suintait. Peu me semblaient habités par la
grâce libératrice du Saint-Esprit dont ils parlaient sans la connaître.
Je l'ai expérimentée plus tard dans des groupes de tantra, des week-ends
de massage sensuel ou des méditations communautaires entre futurs
médiums. Et aussi, dans le souterrain d'un sauna américain ou d'un
hammam oriental, sinon derrière les buissons d'une plage océanique,
nique nique.
À l'âge de 7 ans, j'ai découvert que mon père avait eu une première
épouse avant celle qui allait devenir ma mère. Il m'a expliqué que cette
femme était dépressive, qu'elle avait réussi à échapper à sa
surveillance et s'était suicidée dans la cuisine en gazant aussi leurs
deux enfants. À cette époque, on n'aidait pas les personnes frappées
d'un tel malheur à "faire leur deuil". On leur disait: "Tu n'en parles
plus, tu oublies." C'est ce qui est arrivé entre mon père et moi; il ne
m'en a plus jamais parlé. Je n'ai pas pu partager avec lui mon chagrin d'être
privé d'une grande soeur et d'un grand frère. J'ai dû démêler seul
l'écheveau de la mythologie évangélique sur la protection divine, la
tendresse des mères et la vigilance des pères.
L'effet positif de cette prise de conscience fut de me distancer
d'emblée des prédications béni-oui-oui et des interdits -- sexuels ou autres -- qui jonchaient
la vie d'un "vrai croyant". La deuxième leçon est tombée le jour de mon
13e
anniversaire. Ce dimanche, au lieu de se rendre au culte, mes parents
et quelques amis se sont réunis dans notre salon. Ils étaient au bord
des larmes. Ils avaient été excommuniés de leur communauté pour un péché
impardonnable: avoir partagé la sainte cène avec des chrétiens d'une
autre Église. Du jour au lendemain, tous les amis que nous fréquentions
dans la secte se sont détournés de nous, ainsi que beaucoup de membres
de nos familles. Tabula rasa, il nous a fallu nous constituer de nouvelles relations.
En parallèle, j'avais compris que j'étais un "pédé" ce qui ne me gênait
pas. Mais cette orientation m'obligeait à rester discret avant de
pouvoir prendre des libertés d'adulte. Et que se passait-il sur le plan
des lois ? En 1942, durant la Deuxième guerre mondiale, la Suisse a
décriminalisé les relations homosexuelles. Bien que ce fut un gros
progrès, la chasse aux pédés continuait. La police inspectait les
pissoirs et les parcs pour arrêter les dragueurs. Et ils étaient fichés.
À l'âge de 15 ans, en 1951, j'ai passé une année scolaire dans un
internat allemand. En classe nous étions une vingtaine de petits gars et
les mêmes dans le dortoir, lumières éteintes à 20h45. Imaginez les
batailles d'oreillers ! Mais rien au niveau sexuel. Nous étions moins développés qu'on ne l'est aujourd'hui et mes camarades avaient
connu les restrictions alimentaires et scolaires de la guerre.
La danse hula de Hawaï est à la fois gracieuse, sensuelle et virile.
Sacrée à l'origine, on l'offrait aux divinités que la plus petite erreur
chorégraphique pouvait irriter. L'apprentissage constituait une
longue initiation pour les jeunes hommes qui s'efforçaient de perpétuer
la culture et les traditions.
Très occupés par leurs trois filles, leurs deux fils, leurs nombreuses
activités caritatives et religieuses, mes parents n'ont pas perçu mon
homosexualité. J'imaginais qu'ils avaient compris puisque je n'amenais
pas de copine à la maison. Et qu'ils n'en parlaient pas car il vaut
mieux se taire plutôt que de ne laisser aucun doute à ce sujet. Un jour,
alors que mon père rapportait les dires d'un ami flic sur les activités
des pédés qu'il avait arrêtés, j'ai dû faire mon coming out familial à
l'âge de 30 ans, alors que la majorité
de mon entourage avait compris. J'ai précisé que j'étais homo de naissance, car à
l'époque, les psys prétendaient que c'était la faute des mères.
Cela n'a pas empêché ma mère de faire intervenir toutes sortes
d'évangélistes, de prédicateurs et de psys à la con sous des prétextes
fallacieux pour tenter de me "guérir". Ou, au moins, de
m'éviter l'enfer en me persuadant de renoncer à l'abomination de la
sodomie. C'est l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui m'a guéri en un jour, et vous aussi mes frères. Sans le moindre exorcisme. Le 17 mai 1990,
elle a effacé l'homosexualité de la liste des maladies mentales. Avec un grand retard, comme d'habitude, sur les nombreuses recherches
concernant ce sujet.
Gars d'aujourd'hui ! nous tous avons besoin, comme ceux du passé, de relations non toxiques au masculin. D'une plénitude virile pour développer d'autres potentialités que celle de la course au fric et aux honneurs, de la consommation effrénée. Réapprendre à nous épanouir hors de la rivalité et de la dictature des réseaux sociaux, sortir de notre égocentrisme, donner, échanger et accepter de recevoir gracieusement sans avoir à payer. Et nous recentrer sur un environnement beaucoup plus large. Retrouver la différence entre sensualité et sexualité en honorant ces deux voies de contact avec ceux qui nous sont proches. Nous distancer de la pornographie omniprésente qui a effacé les nuances du sentiment. Retrouver, comme les sportifs, l'enthousiasme du corps-à-corps sans tenir compte des jugements d'autrui.
André
Donner ses lettres de noblesse à la compétition.
Ces deux gars illustrent la différence qui existe entre sensualité et sexualité. D'habitude lorsqu'on parle de la position en 69 entre deux corps, on fait allusion à un rapport sexuel. Eux pratiquent des sauts collés l'un à l'autre en 69 tout en évitant la complicité charnelle. C'est de la fraternité virile.
Le masculin sacré: échange d'énergie masturbatoire.