vendredi 23 avril 2021

Né homo, j'ai été guéri de cette "perversion" sans devenir hétéro !


Passer un savon fraternel.


L'esprit d'équipe des sportifs, sans fausse pudeur.

Je suis né dans un famille fondamentaliste. Le lieu de culte de cette secte s'appelait L'Assemblée des Frères; il rassemblait les mâles entre eux aux premiers rangs. Les femmes, toutes chapeautées, parquées derrière. Pas de pasteur professionnel, mais des "Frères à l'Oeuvre" qui me faisaient chier avec leurs homélies moralisatrices. Petit garçon au côté de mon père, je ne fermais pas les yeux durant les prières -- toujours debout -- et j'observais les adultes. Ces "frères" affectaient des airs sérieux et l'ennui suintait. Peu me semblaient habités par la grâce libératrice du Saint-Esprit dont ils parlaient sans la connaître. Je l'ai expérimentée plus tard dans des groupes de tantra, des week-ends de massage sensuel ou des méditations communautaires entre futurs médiums. Et aussi, dans le souterrain d'un sauna américain ou d'un hammam oriental, sinon derrière les buissons d'une plage océanique, nique nique.






À l'âge de 7 ans, j'ai découvert que mon père avait eu une première épouse avant celle qui allait devenir ma mère. Il m'a expliqué que cette femme était dépressive, qu'elle avait réussi à échapper à sa surveillance et s'était suicidée dans la cuisine en gazant aussi leurs deux enfants. À cette époque, on n'aidait pas les personnes frappées d'un tel malheur à "faire leur deuil". On leur disait: "Tu n'en parles plus, tu oublies." C'est ce qui est arrivé entre mon père et moi; il ne m'en a plus jamais parlé. Je n'ai pas pu partager avec lui mon chagrin d'être privé d'une grande soeur et d'un grand frère. J'ai dû démêler seul l'écheveau de la mythologie évangélique sur la protection divine, la tendresse des mères et la vigilance des pères.


L'effet positif de cette prise de conscience fut de me distancer d'emblée des prédications béni-oui-oui et des interdits -- sexuels ou autres -- qui jonchaient la vie d'un "vrai croyant". La deuxième leçon est tombée le jour de mon 13e anniversaire. Ce dimanche, au lieu de se rendre au culte, mes parents et quelques amis se sont réunis dans notre salon. Ils étaient au bord des larmes. Ils avaient été excommuniés de leur communauté pour un péché impardonnable: avoir partagé la sainte cène avec des chrétiens d'une autre Église. Du jour au lendemain, tous les amis que nous fréquentions dans la secte se sont détournés de nous, ainsi que beaucoup de membres de nos familles. Tabula rasa, il nous a fallu nous constituer de nouvelles relations.


En parallèle, j'avais compris que j'étais un "pédé" ce qui ne me gênait pas. Mais cette orientation m'obligeait à rester discret avant de pouvoir prendre des libertés d'adulte. Et que se passait-il sur le plan des lois ? En 1942, durant la Deuxième guerre mondiale, la Suisse a décriminalisé les relations homosexuelles. Bien que ce fut un gros progrès, la chasse aux pédés continuait. La police inspectait les pissoirs et les parcs pour arrêter les dragueurs. Et ils étaient fichés. À l'âge de 15 ans, en 1951, j'ai passé une année scolaire dans un internat allemand. En classe nous étions une vingtaine de petits gars et les mêmes dans le dortoir, lumières éteintes à 20h45. Imaginez les batailles d'oreillers ! Mais rien au niveau sexuel. Nous étions moins développés qu'on ne l'est aujourd'hui et mes camarades avaient connu les restrictions alimentaires et scolaires de la guerre.




La danse hula de Hawaï est à la fois gracieuse, sensuelle et virile. Sacrée à l'origine, on l'offrait aux divinités que la plus petite erreur chorégraphique pouvait irriter. L'apprentissage constituait une longue initiation pour les jeunes hommes qui s'efforçaient de perpétuer la culture et les traditions.




Très occupés par leurs trois filles, leurs deux fils, leurs nombreuses activités caritatives et religieuses, mes parents n'ont pas perçu mon homosexualité. J'imaginais qu'ils avaient compris puisque je n'amenais pas de copine à la maison. Et qu'ils n'en parlaient pas car il vaut mieux se taire plutôt que de ne laisser aucun doute à ce sujet. Un jour, alors que mon père rapportait les dires d'un ami flic sur les activités des pédés qu'il avait arrêtés, j'ai dû faire mon coming out familial à l'âge de 30 ans, alors que la majorité de mon entourage avait compris. J'ai précisé que j'étais homo de naissance, car à l'époque, les psys prétendaient que c'était la faute des mères.






Cela n'a pas empêché ma mère de faire intervenir toutes sortes d'évangélistes, de prédicateurs et de psys à la con sous des prétextes fallacieux pour tenter de me "guérir". Ou, au moins, de m'éviter l'enfer en me persuadant de renoncer à l'abomination de la sodomie. C'est l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui m'a guéri en un jour, et vous aussi mes frères. Sans le moindre exorcisme. Le 17 mai 1990, elle a effacé l'homosexualité de la liste des maladies mentales. Avec un grand retard, comme d'habitude, sur les nombreuses recherches concernant ce sujet.


Gars d'aujourd'hui ! nous tous avons besoin, comme ceux du passé, de relations non toxiques au masculin. D'une plénitude virile pour développer d'autres potentialités que celle de la course au fric et aux honneurs, de la consommation effrénée. Réapprendre à nous épanouir hors de la rivalité et de la dictature des réseaux sociaux, sortir de notre égocentrisme, donner, échanger et accepter de recevoir gracieusement sans avoir à payer. Et nous recentrer sur un environnement beaucoup plus large. Retrouver la différence entre sensualité et sexualité en honorant ces deux voies de contact avec ceux qui nous sont proches. Nous distancer de la pornographie omniprésente qui a effacé les nuances du sentiment. Retrouver, comme les sportifs, l'enthousiasme du corps-à-corps sans tenir compte des jugements d'autrui.
 
André



Donner ses lettres de noblesse à la compétition.







Ces deux gars illustrent la différence qui existe entre sensualité et sexualité. D'habitude lorsqu'on parle de la position en 69 entre deux corps, on fait allusion à un rapport sexuel. Eux pratiquent des sauts collés l'un à l'autre en 69 tout en évitant la complicité charnelle. C'est de la fraternité virile.







Le masculin sacré: échange d'énergie masturbatoire.










7 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour, comme à chaque fois, très beau texte.

Xersex a dit…

Beaucoup a été fait, il reste encore beaucoup à faire. Je comprends bien la différence entre sexualité, sensualité et fraternité. J'aime beaucoup l'érotisme masculin et je ne méprise pas la pornographie. En effet, je l'aime bien!

André a dit…

Xersex,

Moi aussi j'apprécie (un peu) la pornographie, mais lorsqu'elle n'oublie pas la sensualité ni l'humanité et lorsqu'il est évident que les acteurs prennent du plaisir à leur jeu. Ce qui est devenu rare... Bientôt, on ne pourra plus les distinguer d'un robot bodybuildé.

Xersex a dit…

non cher André! il existe de nombreux types de pornographie pour tous les goûts. il y a des vidéos qui rehaussent la douceur et la joie du sexe! Croys-moi: je connais bien le sujet.

unnu a dit…

bravo André
voila un article pleins d'émotions, de tact, d'une grande densité, d'un immense champ de réflexion. Chapeau!
biz unnu

Mogador a dit…

Merci André pour ce beau partage. En te lisant j'imagine à quel point tu as dû te sentir seul. J'ose espérer qu'aujourd'hui les enfants et les jeunes adultes puissent parler plus librement de leur orientation sexuelle. Merci pour toutes tes publications. Tu fais un travail remarquable.

David Jean-Félix a dit…

Merci André, c'est une histoire forte que la tienne. C'est une leçon, également.